Vitalité

Tout ce que Pierre Monteux aura enregistré pour les différents labels réunis aujourd’hui dans l’escarcelle d’Universal et dans des remasterings assez stupéfiants, mazette ! Dommage pourtant que l’éditeur n’ait pas exhumé le fruit demeuré longtemps inédit d’une des sessions Decca avec le London Symphony Orchestra, une Ouverture « Leonore III » d’anthologie que les Japonais ont publiée récemment dans le seul format d’un microsillon. Souci de droits à régler avec RCA dont l’éditeur rappelle en prélude de son nouveau coffret que nombre d’enregistrements de Monteux furent le fruit d’un mariage de raison entre les deux éditeurs ? Tout l’art flamboyant de Monteux, toute sa vitalité électrique et son sens inflexible du tempo y rayonnaient.

Pleurez !, mais consolez-vous tout de même avec le reste d’autant que l’édition est soignée, iconographie choisie, travail éditorial informatif et précis, reproduction des pochettes d’origines, notes passionnantes d’Andrew Stewart. Entre 1956 et 1964, de Decca à Philips (les ultimes sessions dont des Debussy, Images et Martyre, impérissables) en passant par le mince legs Westminster (enregistré un rien sec), vous tiendrez ici l’art de Monteux à son sommet.

Tout y est baigné d’une ardente lumière, Symphonies de Beethoven toujours plus alertes avec le London Symphony Orchestra, son orchestre de cœur en Europe, qu’avec les Wiener Philharmoniker où il doit batailler quelque peu pour imposer son style objectif, souvent si proche pour les tempos, les phrasés, les accents, de celui d’Arturo Toscanini. Dans toute ces sessions, une seule paille : la Symphonie fantastique, justement avec des Viennois amorphes.

Sous étiquette Decca, les Ravel et les Debussy sont restés inégalés (Daphnis, la Rapsodie espagnole, le Prélude à l’après-midi d’un faune, tous pris dans des tempos pensés pour les danseurs) comme les Stravinski londoniens et même parisiens : Le Sacre du printemps n’est pas parfait, mais ses sonorités sont inouïes, absolument celles que Stravinski eut dans l’oreille à la création ; dans Pétrouchka, les couleurs fusent autour d’un génial Julius Katchen pour lequel Monteux dressera des paysages de tempête dans un légendaire Premier Concerto de Brahms.

Les Brahms justement, partagés entre Londres et Vienne (la 2e Symphonie, avec chacune des formations) surprennent par l’intensité expressive des phrasés, la profondeur des sonorités, l’ampleur du jeu du quatuor qui nous rappellent que Pierre Monteux fut d’abord altiste (et premier alto dans l’orchestre de la création de Pelléas sous la baguette d’André Messager).

Quelques perles inattendues sont à thésauriser, 7e de Dvořák vive et tumultueuse, les sélections de La Belle au bois dormant et du Lac des cygnes, dirigées espressivo comme pour les ballets pantomimes de Diaghilev, une Schéhérazade inouïe de sensualité, quasi érotique, la 2e de Sibelius, les Enigma d’Elgar, l’Eroica avec le Concertgebouw, plus tendue que celle avec les Wiener et le coup d’éclat de ce Roméo et Juliette radical, dont Pierre Monteux rappelle qu’il fut la partition la plus moderniste jamais coulée de la plume de Berlioz. Pour cet acteur majeur de la nouvelle musique du début du XXe siècle, rien n’était plus évident.

LE DISQUE DU JOUR

Pierre Monteux
The Complete Decca, Philips and Westminster Recordings

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Les 9 Symphonies (Intégrale)
Fidelio, Op. 72 – Ouverture
Egmont, Op. 84 – Ouverture
König Stephan, Op. 117
Symphonie No. 3 en mi bémol majeur, Op. 55 « Eroica » (enr. Concertgebouw, Philips)
(+ répétitions Symphonies Nos. 3 & 9, Concertgebouw, LSO)
Franz Schubert (1797-1828)
Symphonie No. 8 en si mineur, D. 759 « Inachevée »
Rosamunde, princesse de Chypre, D.797 (extraits : Ouverture, Entr’actes)
Johannes Brahms (1833-1897)
Symphonie No. 2 en ré majeur, Op. 73 (2 versions)
Ouverture tragique, Op. 81
Ouverture pour une fête académique, Op. 80
Variations sur un thème de Haydn, Op. 56a
Concerto pour piano et orchestre No. 1 en ré mineur, Op. 15
Antonín Dvořák (1841-1904)
Symphonie No. 7 en ré mineur, Op. 70
Hector Berlioz (1803-1869)
Roméo et Juliette, H. 79, Op. 17
Symphonie fantastique, H. 48, Op. 14a
Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847)
A Midsummer Night’s Dream, Op. 21 & 61 (extraits)
Franz Joseph Haydn (1732-1809)
Symphonie No. 94 en sol majeur, Hob.I:94 « Surprise »
Symphonie No. 101 en ré majeur, Hob.I:101 « L’Horloge »
Piotr Ilyitch Tchaikovsky (1840-1893)
La Belle au bois dormant (Ballet), Op. 66 (extraits)
Le Lac des cygnes (Ballet), Op. 20 (extraits)
Nikolai Rimski-Korsakov (1844-1908)
Scheherazade, Op. 35
Igor Stravinski (1882-1971)
L’Oiseau de feu – Suite (version 1919) (2 versions)
Pétrouchka (version 1911)
Le sacre du printemps
Claude Debussy (1862-1918)
Prélude à l’après-midi d’un faune, L. 87
Nocturnes, L. 98 (I. Nuages, II. Fêtes)
Images pour orchestre, L. 118
Le Martyre de Saint-Sébastien, L. 130 – Fragments symphoniques (version Caplet)
Maurice Ravel (1875-1937)
Daphnis et Chloé, M. 57 (ballet intégral)
(+ répétitions Daphnis et Chloé, LSO)
Rapsodie espagnole, M. 54
Pavane pour une infante défunte, M.19 (version orchestrale)
Boléro, M. 81
La Valse, M.72 (version orchestrale)
Ma Mère l’Oye, M.62 (ballet intégral)
Jean Sibelius (1865-1957)
Symphonie No. 2 en ré majeur, Op. 43
Sir Edward Elgar (1857-1934)
Variations sur un theme original “Enigma”, Op. 36
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Suite pour orchestre No. 2 en si mineur, BWV 1067
Christoph Willibald Gluck (1714-1787)
Danse des ombres heureuses, extrait d’”Orphée et Eurydice, Wq. 41 »
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Concerto pour flûte et orchestre No. 2 en ré majeur, K. 314/285d
+ bonus
Maurice Ravel (1875-1937)
Boléro, M. 81
La Valse, M.72 (version orchestrale)
Pavane pour une infante défunte, M.19 (version orchestrale)
Royal Philharmonic OrchestraClaude Monteux, direction (1971)

Wiener Philharmoniker
Orchestre de la Societé des Concerts du Conservatoire
London Symphony Orchestra
Concertgebouw Orchestra
Pierre Monteux, direction

Un coffret de 24 CD du label Decca 4834711
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Photo à la une : le chef d’orchestre Pierre Monteux – Photo : © Universal