Précis de mélancolie

La belle aventure continue. J’avais été transporté par le Premier Livre si finement ouvragé par L’Achéron, le Deuxième en perpétue les sortilèges, Marais y élargissant et son nombre et son propos : 142 pièces contre 92 dans le précédent, trois suites quasi constituées où paraissent d’une part les deux fameux Tombeaux (Lully, Sainte-Colombe), d’autre part la grande Pavane, les autres s’assemblant de pièces dans les mêmes tonalités à la discrétion des interprètes.

François Joubert-Caillet raffine l’art de la suite de danse à la française qui occupe encore ici Marais pour l’essentiel, et que ce soit avec le seul clavecin ou dans le consort avec les cordes pincées et/ou la basse de viole, son archet danse, aigu de hautbois, basse de voix humaine, comme si un chanteur paraissait pour esquisser un air de cour : toute une poésie si ancrée dans le Grand Siècle renait loin de tout faste, dans l’intime. Comment ne pas entendre dans ces musiques de plaisirs et de méditations l’ombreuse nostalgie qui donnait tant de poésie à la viole lorsque Marais la touchait ?

C’est tout le génie de L’Achéron d’en faire sentir avec tant d’acuité la langue si charmeuse, et lorsque la Suite en la majeur résonne, guirlande de portraits et de pièces de caractère que François Couperin n’eut pas désavouée, cette mélancolie se met à danser, moment magique de ce nouveau recueil qui comble au-delà de mes espérances une patiente attente.

Mais un bonheur n’est pas forcé d’arriver seul. Voici que sort des limbes le Premier Livre de Pièces de viole de Jacques Morel, élève de Marin Marais, publié par Ballard en 1709.

La sombre beauté de quatre suites torturées, d’une éloquence certaine, aura illico attiré l’archet des violistes, trois versions en paraissent coup sur coup. Jay Bernfeld et ses amis de Fuoco E Cenere les jouent dans un grand habillage où se joignent entre autres le clavecin de Bertrand Cuillier et le théorbe d’André Henrich, auteurs d’une restitution qui donne tout son caractère à la langue altière de Morel dont les sauts, les humeurs, les chants passionnés rappellent plus la manière de Forqueray que celle de Marais. Musique fascinante, dont l’espressivo trouve ici sa plus éloquente incarnation.

LE DISQUE DU JOUR

Marin Marais (1656-1728)
Deuxième Livre de Pièces de viole

L’Achéron
François Joubert-Caillet, direction

Un album du label Ricercar RIC408
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Jacques Morel (1680?-1740?)
Premier Livre de Pièces de viole avec une Chaconne en trio (1709)

Fuoco E Cenere
Jay Bernfeld, viole de gambe, direction

Un album du label Paraty 129264
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Photo à la une : le compositeur Marin Marais – Photo : © DR