Sept portes

Il faut passer sur le ton un peu halloween du récitant, Pál Mácsai se prend pour Nosferatu, mais dès que le brouillard de l’orchestre vient éteindre sa mise en condition, je pressens qu’une grande version du Château de Barbe-Bleue vient de paraître.

Les couleurs sourdes, le son profond de l’orchestre de Bergen n’y sont pas pour peu : sur cette nuit diaprée, Edward Gardner distille une direction mortifère, raffinant tout un éventail de nuances piano. Son Barbe-Bleue est une révélation : qui, depuis Mihály Székely aura possédé l’exacte tessiture de ce rôle, Bartók ayant offert à la grande basse hongroise des notes graves que seul lui pouvait faire sonner ? John Relyea les possède, mais il a aussi un aigu de pure terreur, et donne du monstre une lecture troublante à force de nuances qui sonnent comme autant de repentirs.

Face à lui, Michelle DeYoung délivre sa meilleure Judith, terrifiée mais résolue, osant violenter sa grande voix : il faut entendre comment elle accule Barbe-Bleue pour l’ouverture de la septième porte.

Bémol léger, la prise de son ne flatte pas les voix mais c’est certainement là la volonté du chef qui dirige l’œuvre comme une symphonie. L’idée n’est pas neuve, Walter Süsskind faisait déjà ainsi. En écoutant cette manière singulière, on cède à la tentation de rapprocher Le Château de Barbe-Bleue de la Symphonie lyrique de Zemlinsky, et d’ailleurs l’étoffe orchestrale, les dosages qu’en tire Edward Gardner renvoient volontiers à l’esthétique de la Seconde Ecole de Vienne. J’espère bien que son futur Prince de bois sera tout aussi saisissant.

LE DISQUE DU JOUR

Béla Bartók (1881-1945)
Le Château de Barbe-Bleue, Op. 11, Sz. 48, BB 62

John Relyea, basse
(Barbe-Bleue)
Michelle DeYoung,
mezzo-soprano (Judit)
Pál Mácsai, récitant
Bergen Philharmonic Orchestra
Edward Gardner, direction

Un album du label Chandos CHSA5237
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Photo à la une : © DR