La Guerre et après

Réunir sur un même disque le Premier Concerto (1916) de Karol Szymanowski (où le violon se prend pour une cantatrice, le légendaire cantabile de Pavel Kochanski aidant) et la Symphonie Lyrique à laquelle Alexander von Zemlinsky mit sa dernière touche durant l’été 1923, c’est souligner la sensualité panthéiste qui réunit deux œuvres comme indifférentes aux charniers de la Grande Guerre.

Belle idée en vérité, l’orchestre du Polonais comme celui du Viennois s’épicent de timbres inouïs, mais au-delà de leurs concordances de vocabulaire, ils parlent de ce monde d’hier intact encore dans leur idéal mais qui se revêt des musiques venues d’autres planètes.

Elina Vähälä, violoniste majeure de la nouvelle génération des virtuoses finlandais, fait danser le Concerto de Szymanowski au bord du volcan, archet de souffre, cantabile ivre, touche légère, jeu allusif comme jadis savaient l’imaginer Wanda Wilkomirska ou Eugenia Uminska, une perfection qu’avive encore l’orchestre plein et fluide, vraie voix lactée, de la Radio Polonaise qui poursuit ici sous la baguette inspirante d’Alexander Liebreich un nouveau cycle Szymanowski dont j’ai déjà fêté les précédents volumes.

Pour la Symphonie Lyrique dont les grandes versions ne manquent pas (mon tiercé dans l’ordre : Armin Jordan, Giuseppe Sinopoli, Lorin Maazel), Alexander Liebreich creuse l’espace sonore dès le Preludio, orchestre noir comme une nuit de Bengale.

Il saturera cette étoffe précieuse tout au long de l’œuvre, rapprochant ce chant d’amour nocturne à la fois du conte sombre des Gurrelieder et des rêves métaphysique de Das Lied von der Erde, les deux modèles qu’avaient en tête Zemlinsky. C’est décidément bien vu, incarné par deux chanteurs admirablement menés, Johanna Winkel allant au feu avec volupté et fragilité à la fois, Michael Nagy éclairant son baryton pour faire mieux briller les sombres éclats dont Zemlinsky aura paré les poèmes de Tagore.

Moment fulgurant entre silence et éclat, le septième lied, génialement compris par Johanna Winkel, elle y égale Elisabeth Söderström. Je me demande bien quel sera le prochain programme du cycle d’Alexander Liebreich : Harnasie et Le Prince de bois peut-être ?

LE DISQUE DU JOUR

Karol Szymanowski
(1882-1937)
Concerto pour violon et orchestre No. 1, Op. 35
Alexander von Zemlinsky (1871-1942)
Lyrische Symphonie, pour soprano, baryton et orchestre, Op. 18

Elina Vähäla, violon
Johanna Winkel, soprano
Michael Nagy, baryton
Polish National Radio Symphony Orchestra
Alexander Liebreich, direction

Un album du label Accentus Music ACC30470
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Photo à la une : le chef d’orchestre Alexander Liebreich – Photo : © Thomas Rabsch