Concept-disque

C’est la mode, les disques à programme, qui cherchent les passerelles et éclairent des projets singuliers, suggèrent des perspectives. Igor Levit s’y essaye, il donne le change en concluant chacun des deux disques de l’album par une pièce venue « d’ailleurs », A Mensch de son cher Frederic Rzewski et la Peace Piece de Bill Evans, chef-d’œuvre elle du moins, qui regarde Satie droit dans les yeux.

Mais le sujet de ce programme est au fond le plus classique qui soit et déjà souvent couru : la permanence de l’œuvre de Bach chez les compositeurs pianistes, alpha de l’art de l’arrangement ou de la transcription : venue des ombres comme la voit Ferruccio Busoni, la Fantaisie d’après Bach est un tombeau à quoi répond sur le second disque la Berceuse, septième pièce des Elégies, chant de douleur au bord du lit funéraire de sa mère que Busoni étendra dans un suaire d’orchestre, pièce fascinante qu’Igor Levit enveloppe d’un brouillard qui diffracte l’harmonie, instant saisissant.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, ces deux pièces de Busoni sont les sommets de cet album complexe, qui demandent des écoutes répétées et attentives. Levit y transmue son piano en un discours poétique minimaliste, il dépasse l’instrument alors que pour les pièces de plus grande ampleur, la Chaconne de Bach transcrite pour la seule main gauche par Brahms, l’arche de la Marche du Graal de Parsifal ou encore la Fantaisia et Fugue sur « Ad nos, ad salutarem undam » et sa métamorphose du piano en orgue, l’instrument s’impose, prend tout l’espace, sans vraiment me convaincre.

Et si au fond l’art si tenu, si parfait de ce colosse du clavier se révélait plutôt dans l’intime : la Mort d’Isolde et ses flammes calmes, les spectres tranquilles, familiers des Variations sur un thème original de Schumann montre que son génie s’incarne dans l’introspection des visions, et tout ce nouvel album plaide pour qu’il concocte un disque avec les pièces les plus secrètes de Busoni, à commencer par les Elégies.

LE DISQUE DU JOUR

Life

Ferruccio Busoni (1866-1924)
Fantaisie d’après J. S. Bach,
BV 253

Berceuse (No. 7, extrait des « Élegies, BV 249 »)
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Chaconne de la « Partita pour violon seul No. 2 en ré mineur, BWV 1004 » (transcription pour piano main gauche : Brahms)
Robert Schumann (1810-1856)
Variations sur un thème original en mi bémol majeur
Frederic Rzewski (né en 1938)
A Mensch (extrait des « Dreams »)
Franz Liszt (1811-1886)
Feierlicher Marsch zum heiligen Gral aus „Parsifal“ de Wagner, S. 450
Fantaisie et Fugue sur le choral « Ad nos, ad salutarem undam », S. 259 (transcription pour piano : Busoni)
Isoldens Liebestod aus „Tristan and Isolde“ de Wagner, S. 447
Bill Evans (1929-1980)
Peace Piece

Igor Levit, piano

Un album de 2 CD du label Sony Classical 08985424452
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Photo à la une : le pianiste Igor Levit – Photo : © Robbie Lawrence