Affiche paradoxale, superbe réussite

Une affiche paradoxale, et pourtant un de mes plus beaux disques !

Paradoxal, pour plusieurs raisons. Pierre Boulez a été un compositeur contemporain qui partageait son temps avec la direction d’orchestre, mais que l’on imaginait mal comme « simple » accompagnateur dans des concertos pour piano. Et nous avons l’habitude de l’entendre dans la musique contemporaine, les auteurs du XXe siècle (Stravinski, Mahler, etc.) ou Wagner, nous ne l’attendions pas dans des œuvres d’un romantisme échevelé. Daniel Barenboim est lui un pianiste et chef d’orchestre incroyable, qui allie une musicalité extraordinaire et un engagement humaniste à déplacer les montagnes. Mais on le connaît mieux dans les œuvres de Mozart, Beethoven (Sonates et Concertos, pour ces deux compositeurs), Schubert (Impromptus et Sonates à couper le souffle) que dans des œuvres virtuoses comme le sont ces Concertos de Liszt.

Et pourtant, cet enregistrement est une des plus grandes réussites de ces dernières années. Et beaucoup de raisons peuvent l’expliquer.

Tout d’abord, Liszt était à la fois un pianiste « pyrotechnique » qui composait des œuvres pianistiques souvent extrêmement virtuoses qu’il jouait lui-même, donnant le semblant de l’improvisation, mais aussi un compositeur d’œuvres orchestrales très progressistes et novatrices. Il a notamment inventé, et lui a donné ses lettres de noblesses, le genre du poèmesSymphonique, et il a influencé son gendre Richard Wagner. C’est pourquoi voir Pierre Boulez diriger Liszt, et en faire ressortir toute la modernité, est finalement loin d’être incongru.

De plus, le programme intercale, entre les deux Concertos de Liszt, deux œuvres orchestrales de Wagner de la même époque. Tout d’abord, l’Ouverture « Faust » (1840-1855), très peu jouée, qui lie stylistiquement en une vingtaine de minutes Schumann et Mendelssohn d’un côté, Mahler et Richard Strauss de l’autre. La seconde œuvre de Wagner est la Siegfried-Idyll, composée à l’occasion de la naissance de son fils Siegfried en 1869, petit–fils de Liszt. Siegfried-Idyll reprend beaucoup de thèmes (voyage sur le Rhin, le Cor, l’oiseau-chanteur,…) de la Tétralogie (Siegfried principalement) de Wagner, que Boulez dirigea de nombreuses années à Bayreuth dans une production qui fit date.

Mais c’est Barenboim qui rend cet enregistrement exceptionnel. Avec un piano magnifiquement enregistré, le pianiste nous enchante constamment, que l’écriture soit virtuose, passages que Barenboim maîtrise en fait absolument, ou qu’elle soit fine et subtile. Le célèbre toucher de Barenboim est là, d’une richesse qu’on n’avait pas entendue depuis longtemps. Alors que le style de la partition de piano est constamment varié, on a l’impression d’un pianiste qui le domine parfaitement, l’attention ne peut se relâcher une seconde.

Le son est sublime, et l’image haute définition parfaite.
Je le redis, un de mes disques à emmener sur l’ile déserte.

LE DISQUE DU JOUR


Franz Liszt (1811-1886)
Concerto pour piano et orchestre No. 1 en mi bémol majeur, S. 124
Concerto pour piano et orchestre No. 2 en la majeur, S. 125
Consolation No. 3 en ré bémol majeur, S. 172/3
Valse oubliée No. 1, S. 215/1
Richard Wagner (1813-1883)
Eine Faust-Ouvertüre, WWV 59
Siegfried-Idyll, WWV 103

Daniel Barenboim, piano
Staatskapelle Berlin
Pierre Boulez, direction

Un DVD/Blu-Ray du label Accentus 10239
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Photo à la une : Daniel Barenboim et Pierre Boulez – Photo : © DR