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L’un des premiers disques d’Alexander Lonquich (et je crois bien son premier d’ailleurs), étiquette Nova Era, fut consacré à Schubert et présentait une Sonate D. 958 d’une grande complexité. Quelque années plus tard s’y ajoutait pour EMI une version creusée, interrogative de la grande en la majeur que complétait deux Impromptus et le troisième Moment musical.

L’ultime Schubert de l’année 1828 lui est donc un autre lui-même, il était logique qu’il y revint pour boucler la boucle et ajouter la Sonate en si bémol majeur, mais aussi les Klavierstücke. Ceux qui ne sont pas familiers de son Schubert hors du temps, volontiers en apartés, ou qui semble sans cesse chanter des lieder ou dire des poèmes, seront décontenancés : Alexander Lonquich ne veut jamais inféoder le discours à la forme, au contraire, faisant l’ultime Schubert frère de l’ultime Beethoven, les mots atomisent la phrase, l’émotion se sert de la forme jusqu’à la déformer, paradoxe difficile à entendre, mais si on l’accepte, c’est tout Schubert qui parle.

Ce double album a des tons de confession, mieux une nécessité d’aveu qui annihile la violence à force de douceur : littéralement, le temps n’y existe plus, tout est emporté par un phrasé continu qui ponctue une progression dramatique cachée.

Une différence pour la Sonate D. 958 : depuis la gravure pour Nuova Era, tout le Winterreise contemporain s’est engouffré dans l’œuvre, Lonquich faisant résonner les nombreuses citations, plus ou moins masquées, qui parsèment l’œuvre.

L’écoute de l’ensemble est fascinant, mais si vous voulez un point d’entrée, commencez par l’Andantino de la Sonate en la majeur : le jeu en estompe est fabuleux et ne s’entend quasiment plus chez les pianistes d’aujourd’hui ; l’idée de la reprise du premier thème, accentuée et à peine alentie, montre l’artiste en train de concevoir sa création, la tempête au centre venue de très loin répétera vainement sa question ponctuée de négations : de la musique moderne absolument.

Avec la Sonate en si bémol majeur, une étape supplémentaire dans le retrait, le murmure, l’élévation paraît : ce piano médite, transporté dans un cosmos vide durant l’Andante (quel moment de musique suspendu !). L’idée de placer en coda de l’album les Klavierstücke est le seul bémol : joués avec une telle maîtrise, ils auraient été bien plus en situation avant la Sonate D. 958, car rien ne devrait succéder à cette ultime Sonate si parfaitement comprise. Mais, il vous suffira de jouer les CDs dans l’ordre que vous voudrez.

LE DISQUE DU JOUR

Schubert 1828

Franz Schubert (1797-1828)
Sonate pour piano No. 19
en ut mineur, D. 958

Sonate pour piano No. 20
en la majeur, D. 959

Sonate pour piano No. 21
en si bémol majeur, D. 960

3 Klavierstücke, D. 946

Alexander Lonquich, piano

Un album de 2 CD du label Alpha 433
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Photo à la une : © DR