L’Archet foudre

« André Navarra, le seul violoncelliste qui ne m’ait jamais demandé de faire jour mon orchestre plus doucement », s’exclamait un jour Georges Sébastian lorsqu’il évoquait son interprétation du Concerto de Lalo. Le son si précis, si dense, si projeté de Navarra assura longtemps sa légende. Les disques assemblés ici le rappellent, qui auront capté cet archet ardent au cours des années soixante alors qu’il vivait une vraie histoire d’amour avec les mélomanes de Prague. Il suffisait qu’on annonce Navarra et l’on devait ajouter des chaises dans la salle de la Philharmonie.

Navarra virtuose s’il en fut, certes, reste d’abord une voix, d’un lyrisme irrépressible, qui trouvera à Prague, avec Karel Ančerl, son parfait balancier. Toutes leurs gravures sont ici, impérissables, inaltérées. Au sommet, leur Schelomo, empoigné par cet archet-verbe que ni Nelsova, ni Starker, ni Rostropovitch ne purent retrouver, qui doute et médite à voix haute, génial ! comme leur Concerto de Schumann, si tendu, si âpre.

Pourtant, ce qui fit la légende de Navarra à Prague fut sa Concertante de Prokofiev, très poussée par les édiles soviétiques alors même qu’il lui donnait une stature internationale, refusant de faire paraître le sous-texte politique.

Hors Ančerl, son amitié avec Martin Turnovský lui inspira un vivace Concertino de Martinů, et une perle rare : le Concerto avec vents d’Ibert, et son irrésistible Gigue finale. S’y ajoute un Concerto de Lalo que Silvestri lui chaloupe avec des grâces de gitane, et les albums chambristes qu’on retrouve enfin, Sonates de Brahms jouées très « à la corde », façon Casals, et le récital baroque avec un appendice surprenant que j’avais oublié : la Pièce en forme de Habanera de Ravel avec le clavier merveilleux de František Maxián.

Puis aussi le disque « pur cordes », où il rejoint Josef Suk pour des Martinů, la Sonatine d’Honegger, mais surtout une version anthologique du Duo de Zoltán Kodály. Même le disque Prokofiev/Beethoven avec Alfred Holeček, vraie rareté, est retrouvé. Pour l’Opus 119 du Russe, c’est simplement un coup de génie.

Coffret indispensable, remastering parfait.

LE DISQUE DU JOUR

André Navarra
Prague Recordings

Johannes Brahms (1833-1897)
Concerto pour violon, violoncelle et orchestre en la mineur, Op. 102 « Double concerto »
Sonate pour violoncelle et piano No. 1 en ré mineur, Op. 38
Sonate pour violoncelle et piano No. 2 en fa majeur, Op. 99
Robert Schumann (1810-1856)
Concerto pour violoncelle et orchestre en la mineur, Op. 129
Ernest Bloch (1880-1959)
Rhapsodie hébraïque pour violoncelle et orchestre « Schelomo »
Ottorino Respighi (1879-1936)
Adagio con variazioni, pour violoncelle et orchestre, P. 133
Serge Prokofiev (1891-1953)
Sinfonia concertante pour violoncelle et orchestre en mi mineur, Op. 125
Sonate pour violoncelle et piano en ut majeur, Op. 119
Bohuslav Martinů (1890-1959)
Concertino pour violoncelle, cuivres, piano et percussion, H. 143
Duo pour violon et violoncelle No. 1, H. 157
Duo pour violon et violoncelle No. 2 en ré majeur, H. 371
Jacques Ibert (1890-1962)
Concerto pour violoncelle et instruments à vents
Edouard Lalo (1823-1892)
Concerto pour violoncelle et orchestre en ré mineur
Zoltán Kodály (1882-1967)
Duo pour violon et violoncelle en ré mineur, Op. 7
Arthur Honegger (1892-1955)
Sonatine pour violon et violoncelle, H. 80
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour violoncelle et piano No. 3 en la majeur, Op. 69
Louis de Caix D’Hervelois (?1680-1760)
Pièces de viole, arr. en Suite pour violoncelle et piano
Luigi Boccherini (1743-1805)
Sonate pour violoncelle et piano en sol majeur, G. 5
Maurice Ravel (1875-1937)
Vocalise-étude en forme de Habanera, M. 51 (arr. Bazelaire)

André Navarra, violoncelle
Josef Suk, violon
Alfred Holeček, piano
František Maxián, piano
Chamber Harmony, Prague
Orchestre Philharmonique Tchèque
Martin Turnovský, direction
Karel Ančerl, direction
Constantin Silvestri, direction

Un coffret de 5 CD du label Supraphon SU429-2
Acheter l’album sur le site du label Supraphon Records, sur le site www.clicmusique.com, ou sur Amazon.fr

Photo à la une : Le violoncelliste André Navarra, en 1980 – Photo : © DR