Lumière et ténèbres

Un malentendu subsiste quant au Bruckner de Stanislaw Skrowaczewski, qui le poursuit par-delà même la mort. Comme il le dirigeait leste, preste, tellement lumineux qu’il en sonnait aux oreilles de certains comme émacié, de phrasés, d’accords, de son simplement, on l’accusait de prosaïsme. J’y entends au contraire un attachement fanatique au texte, rien qu’au texte, une manière de le faire entendre dépoussiéré non seulement des versions frauduleuses mais aussi de toute une tradition qui l’aura alourdi. Le cycle entrepris avec le Philharmonique de Londres au long des années 2010 est progressivement publié, ultime visage d’un compositeur qu’il dirigea bien plus tôt dans sa carrière qu’on ne le croit : une 4e de son temps de Hallé existe au disque.

Dans cette 5e lumineuse et dessinée, enregistrée au Royal Festival Hall du Southbank Centre le 31 octobre 2015, dressée et pourtant en apesanteur, dite mais aussi feulée, Skrowacewski semble parvenu au sommet de son art, on voit l’architecture se mettre en place, les arcs fuser ; les puits de lumière inonde les cordes et c’est bien un ange qui joue le hautbois de l’Adagio, mais un ange déchu.

Car derrière cette mise en lumière implacable, une spiritualité irradie, qu’on n’a jamais assez soulignée. Le temps se suspend littéralement alors que l’orchestre est incroyable mobile, léger, comme si son orgue virtuel ne pesait pas plus que le poids d’une plume. C’est probablement une des plus étonnantes expériences d’une Cinquième Symphonie captée en concert depuis celle du Concertgebouw et d’Eugen Jochum à Ottobeuren.

Après ces sommets, entendre la démarche confite en « célibidachisme » de Rémy Ballot, c’est aller à l’exact opposé du propos de Skrowaczewski, mais ce n’est pas sans intérêt. L’ampleur des tempos, la profondeur de l’harmonie, la touffeur des registres des polyphonies, quelque chose de noir, d’insondable, de résolument tragique s’impose dans une partition que, depuis Wolfgang Sawallisch, j’entends autrement aventureuse, conquérante. La Sixième, est-ce vraiment cela ?

Si mon doute subsiste, la présence des jeunes musiciens assemblés dans cet orchestre assez formidable, le sens de la ligne du chef qui mesure son interprétation aux temps de résonance de la basilique de Sankt Florian, devraient en convaincre beaucoup, et me donne envie de suivre l’entreprise bien plus encore qu’à l’audition des précédents volumes.

LE DISQUE DU JOUR

Anton Bruckner (1824-1896)
Symphonie No. 5 en si bémol majeur, WAB 105

London Philharmonic Orchestra
Stanislaw Skrowaczewski, direction

Un album du label LPO Live LPO0090
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Anton Bruckner
Symphonie No. 6 en la majeur, WAB 106

Oberösterreichisches Jugendsinfonieorchester
Rémy Ballot, direction

Un album du label Gramola 99127
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Photo à la une : © DR