1905

Les Miroirs sont une de mes obsessions, c’est avec eux que Fanny Azzuro ouvre son disque regroupant trois opus « de » l’année 1905. Les Noctuelles, partition fascinante dont la graphie est si saisissante car on y voit exactement ce que l’on y entend, échappent souvent aux pianistes, qui brouillent leurs subtilités en les jouant d’un mouvement trop vif, en les effleurant, au sens propre comme au sens figuré.

La jeune pianiste française s’en garde bien, donnant tout à entendre d’un texte complexe dans ses harmonies comme dans son agogique. Elle fait ensuite sonner la note répétée des Oiseaux tristes comme en prémonition de celle du Gibet, ouvrant cet espace de fantasmagorie que prolongera Une barque sur l’océan, vertigineuse. La section centrale d’Alborada se pare d’un guitariste flamenco mélancolique, Fanny Azzuro ne l’entend pas comme ce grotesque que tant brossent à traits vifs, mais replace la pièce dans la fascinante atmosphère de nocturne dont elle enveloppe tout le cycle, jusqu’à une Vallée des cloches mystérieuse à souhait.

Après la nuit du jeune Ravel, le jour du Premier Livre des Images de Claude Debussy diffracte la lumière dans un jeu pianistique particulièrement savant : Reflets dans l’eau joué ainsi, dans un mouvement fluide mais relativement ample dévoile toutes les strates du clavier, l’Hommage à Rameau devient une stèle sonore où l’harmonie se diapre, et dans Mouvement, rien ne bouge, reproduisant l’idée d’immobilité engendré par la vitesse.

Lorsque Ravel et Debussy mettaient le point final à leurs deux opus, Isaac Albéniz commençait son Troisième Cahier d’Ibéria qu’il achèvera en 1908, une année avant sa mort. Fanny Azzuro n’y force pas la couleur espagnole – son El Polo mesuré ne joue pas des rythmes mais de l’harmonie – faisant entendre d’abord comment cette musique, sous ses teintes espagnoles, par-delà son folklore imaginaire, s’intègre dans le renouveau pianistique français du début du siècle dont elle sera le piment. Mais le caractère ne lui manque jamais – son El Albaicin même s’il stylise les gitans a du mystère, et l’atmosphère de fête irrépressible de Lavapiés est bien là.

Disque exemplaire, si intelligemment composé, et qui continue de révéler un sacré talent.

LE DISQUE DU JOUR

1905 Impressions
Maurice Ravel (1875-1937)
Miroirs, M. 43
Claude Debussy (1862-1918)
Images, Livre I, L. 110
Isaac Albéniz (1860-1909)
Ibéria, Cahier 3

Fanny Azzuro, piano

Un album du label Paraty Productions 116224
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Photo à la une : © Jean-Baptiste Millot (from Fanny Azzuro website)