L’intégrale oubliée

Sur un de ses anciens microsillons des Discophiles français, Lili Kraus joue le célesta dans l’Adagio et Rondo pour glass harmonica, elle fut toujours curieuse de tous les instruments à clavier et lorsque Alix Williamson lui proposa d’enregistrer l’intégrale des Concertos de Mozart, qu’elle n’avait pas tous à son répertoire, elle songea à les jouer sur un pianoforte : au début des années 1960, cela paraissait aventureux, mais Ralph Kirkpatrick le faisait déjà de ce côté-ci de l’Atlantique (une gravure magique du 17e Concerto avait créé l’étonnement).

Finalement, l’idée du pianoforte fut abandonnée lorsque son impresario américain lui obtint une série de concerts à New York afin qu’elle puisse présenter l’ensemble des Concertos en public : un instrument au volume sonore si limité n’eut pas convenu, même à la plus intime des salles de Manhattan.

Cette intégrale enregistrée à Vienne, avec un orchestre modeste et un tout jeune chef qui brillera plus tard dans les oratorios et les opéras de Haendel, fut fêtée Outre-Atlantique mais ne circula qu’au compte-gouttes en Europe. Seule la CBS japonaise l’avait rééditée en compact disc en 1987 (un cartonnage resserrant trois coffrets regroupant 11 CD), contrairement à ce que note le livret de la nouvelle édition qui assure être la première sous ce format.

Privée de son rêve de pianoforte, Lili Kraus ne renonça pas à évoquer la nature de l’instrument de Mozart, son jeu est ici d’une douceur, d’une subtilité, d’une tendresse infinies, le chant est étreignant à force de pudeur, les doigts sont discrets, divinement musiciens cela va sans dire, les couleurs émanent plus qu’elles ne fusent, c’est un Watteau. Avec cela du caractère, des personnages (travaillant avec Stephen Simon, elle évoquait sans cesse les opéras de Mozart), tout un petit théâtre merveilleux qui anime un discours d’une poésie infinie.

Quelques traits pourront paraître délicats, l’âge !, mais peu importe : le style, l’âme de Mozart parlent avec une telle liberté, et les cadences sont d’une beauté inouïe (écoutez seulement celle de l’Andante du 17e Concerto).

Retrouver ce coffret à merveille est un plaisir sans mélange, parfois l’ancienne réédition japonaise sonne mieux (pour l’orchestre surtout) mais la nouvelle mouture qui fait le piano de Lili Kraus plus sonore, plus en avant, si aisément accessible !, quelle aubaine pour tant de mélomanes qui vont enfin découvrir ici un des plus émouvants ensembles Mozart que le disque a captés.

LE DISQUE DU JOUR

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Les Concertos pour piano (Intégrale)
(The Complete Columbia Recordings, 1965-1966)

Lili Kraus, piano
The Vienna Festival Orchestra
Stephen Simon, direction

Un coffret de 11 CD du label Sony Classical 8985302582
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Photo à la une : © Sony Classical