Le piano du magicien

De l’immense legs que Walter Gieseking engrangea pour Columbia Londres, les Debussy seuls sont régulièrement réédités – j’en attends sous peu une nouvelle édition – les Ravel déjà moins, et les concertos auront tous reparu, mais les autres gravures ?

Après un double album consacré aux enregistrements Homocord, voici qu’APR ose ouvrir la boîte de Pandore, nous faisant retrouver d’un coup les albums Schumann, Schubert et Brahms enregistrés à Abbey Road au long des années cinquante.

Les Brahms dominent cette période, pénétrants de poésie, d’une tension folle par instants – écoutez seulement l’Opus 76, si rhapsodique, où vraiment un poète chante – avec une invention dans les couleurs, des clairs-obscurs dans l’Opus 118 que seul Kempff au disque, et Radu Lupu au concert, auront retrouvés.

La folie que Gieseking mettait à ses Schumann « live » ne se réédite que parfois au studio : son Carnaval stupéfie par ses bourrasques de notes alors que ses Scènes d’enfants semblent surveillées. Autres merveilles, les Schubert, Impromptus impérieux, sans aucun charme, mais avec une alacrité de clavier, un mordant, des tempos fous qui éclateront aussi dans les Klavierstücke posthumes, menés tel une course à l’abîme. Même les Moments musicaux relus par ce piano alerte avancent à grand train, avec des sonneries de postillon et des paysages à foison. Quel schubertien !, dont on cherchera ailleurs les quelques rares Sonates qu’il aura confiées aux radios allemandes. S’y ajoutent quelques Chopin – dont une très sombre Barcarolle – et deux Scriabine qui rappellent l’étendue de son répertoire.

La somme est parfaite et précise le génie de ce pianiste démiurge, espérons que demain APR poursuivra pour nous offrir l’intégrale inachevée des Sonates de Beethoven, les Pièces lyriques de Grieg, les quelques Bach et les œuvres pour piano seul de Mozart disparues corps et bien avec l’ancien coffret Références, part la plus discutée de son héritage discographique dont rien ne saurait laisser indifférent.

LE DISQUE DU JOUR

Walter Gieseking
Brahms, Schubert, Schumann: The Complete 1950s Solo Studio Recordings

Johannes Brahms (1833-1897)
4 Klavierstücke, Op. 119
2 Rhapsodies, Op. 79
8 Klavierstücke, Op. 76
7 Fantasien, Op. 116
3 Intermezzi, Op. 117
6 Klavierstücke, Op. 118
Robert Schumann (1810-1856)
Kinderszenen, Op. 15
Carnaval, Op. 9
Albumblatter, Op. 124 (extrait : XVI. Schlummerlied)
Waldszenen, Op. 82 (extrait : VII. Vogel als Prophet)
Franz Schubert (1797-1828)
4 Impromptus, Op. 90, D. 899
4 Impromptus, Op. 142, D. 935
6 Moments musicaux, Op. 94, D. 780
3 Klavierstücke, D. 946
Frédéric Chopin (1810-1849)
Berceuse en ré bémol majeur, Op. 57
Barcarolle en fa dièse majeur, Op. 60
Alexandre Scriabine (1872-1915)
Poème, Op. 32 No. 1
Prélude, Op. 15 No. 4

Walter Gieseking, piano

Un coffret de 4 CD du label APR7402
Acheter l’album sur le site www.clicmusique.com, ou sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Photo à la une : Le pianiste Walter Gieseking, avec ses deux filles, Jutta and Freya – Photo : © DR