Miroir du temps

Entreprise hardie, sinon risquée. Faire voisiner, mieux, se confronter trois symphonies de Mahler1, 5, 9 – dans deux interprétations d’orchestres russes à un demi-siècle d’écart sur le plus vaste ambitus.

Point de départ, les gravures de Kirill Kondrachine, qui ne furent pas l’alpha de Mahler en Union Soviétique : Oskar Fried, Georges Sébastian le précédèrent, mais sans imposer par le disque d’État un quasi cycle. On sait quelle révélation furent pour Dmitri Chostakovitch les concerts moscovites de Kondrachine. Vous en retrouverez ici trois opus saillants qui n’ont rien perdu de leur puissance suggestive, demeurés à part dans la discographie.

Et voici qu’un orchestre jusque-là inconnu de moi et un chef, Alexander Sladkovsky, qui l’est à peine moins, se risquent à cette comparaison. Je dois bien constater dès les premières mesures du Naturlaut de la Première Symphonie que l’Orchestre Symphonique National du Tatarstan, basé à Kazan, est de tout premier ordre. Leur Titan fulgure, magnifiquement incarnée, il lui manque juste ce sens des atmosphères, ces climax dévastateurs qui, tout moins parfaits qu’ils sonnent à nous oreilles d’aujourd’hui, les Moscovites et Kondrachine produisaient. La 5e Symphonie, si complexe de forme, si foisonnante d’écriture, leur échappe hélas, trop difficile à intégrer sans une longue fréquentation.

Mais la Neuvième, mazette ! Quelle stupéfaction ! Le discours, hautain, tenu, minéral, rappelle plus Klemperer que Kondrachine dans l’immense nuit de son de l’Andante, et dans les déflagrations furieuses du Ländler ricane tout un carnaval déboulé d’une toile d’Ensor.

Emporté dans un tempo fou, le Scherzo conduit aux enfers de Dante en treize minutes, comme si toute la Sixième Symphonie s’y était compressée. Phrasé amoroso, modelé, l’Adagio manque juste un rien d’éther dans sa coda. Mais cette Neuvième d’un orchestre et d’un chef nouveaux doit être entendue, preuve que Mahler est décidément partout vivant aujourd’hui, et compris, et aimé, ce qu’aura espéré jusqu’à son dernier souffle Henry-Louis de La Grange, parti trop tôt pour entendre ces disques.

LE DISQUE DU JOUR

Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie No. 1 en ré majeur, “Titan”
Symphonie No. 5
Symphonie No. 9

Orchestre Symphonique National du Tatarstan
Orchestre Philharmonique de Moscou
Kirill Kondrachine, direction
Alexander Sladkovsky, direction

Un album du label Melodiya MELCD 1002475
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Photo à la une : © Evgeny Evtyukhov