Tombeau de Lipatti

Incroyable. Dinu Lipatti aurait eu cent ans cette année. Moi qui le soupçonnais immortel ! Un coffret d’essentiels a été hâtivement refourbi par Warner, mince hommage qui se prive même de nouveaux remasterings, alors que la collection ICON au temps d’EMI avait assemblé une somme autrement conséquente : sept CD avec des live aussi importants que le 3e Concerto de Bartók ou le Premier Concerto de Bach avec le Concertgebouw d’Amsterdam et Eduard van Beinum.

Mais voilà, Kerstin Hänssler a voulu un hommage contenant la moindre bribe sonore que Lipatti aura laissée. Ce « labour of love » est remarquable à plus d’un titre, d’abord par la qualité des remasterings, qui rétablit le pitch exact des gravures roumaines proposant tout un disque Enesco du coup absolument indispensable (Bourrée de la 2e Suite, 3e Sonate pour piano, Sonates pour violon et piano Nos. 2 et 3 avec Enesco en 1943, documents impérissables qu’on entend enfin dans leur « son réel »), dévoilant les rarissimes gravures avec Antonio Janigro (Après un rêve, Vocalise-étude en forme de habanera, ce qui ajoute un second opus ravélien à la discographie ravélienne de celui qui reste le maître d’Alborada del gracioso, Le Vol du bourdon), mais aussi les premiers sillons captés en 1936 à l’École Normale de Musique de Paris où il joue, à un tempo fou l’Allemande de la Partita en la sur un clavecin ! Louis Diémer, sors de ce corps ! Et puis après, d’improviser avec la même avidité sur la Toccata en ut, folie d’éloquence, avant de retourner au piano pour le Presto de la Première Sonate d’Enesco et pour deux Intermezzos de Brahms. Archiphon avait très discrètement publié cela, mais dans un son autrement plus cauteleux !

Merveilles qui en annoncent tant d’autres ! Tout y est ici, et même les quatre mains avec Nadia Boulanger, Valses de Brahms, chantées ou pas, faisant le portrait si vif, si intense, un jeune homme resté jeune homme jusqu’au bout, classique mais ardent de spiritualité, parfait en tout sinon dans le Concerto de Schumann avec Karajan, trop dur, trop peu consenti : il sera tellement plus libre, plus chantant « live » à la Suisse Romande avec Ansermet, à quelque mois de la mort.

Mais je reviens sans cesse à l’Adagio enfin religioso du 3e Concerto de Bartók, cette prière où il s’incarne, et que seule Annie Fischer put approcher. Un tombeau ? Une fête !

LE DISQUE DU JOUR

Dinu Lipatti
Édition du 100e anniversaire

Œuvres de J. S. Bach, Bartók, Brahms, Chopin, Enesco, Fauré, Grieg, Lipatti, Liszt, Mozart, Ravel, Rimski-Korsakov, Scarlatti, Schubert, Schumann,

Dinu Lipatti, piano

Un coffret de 12 CD du label Hänssler/Profil PH7011
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Photo à la une : © DR