Beethoven XXI

ECM aura égrené avec circonspection et dans une relative indifférence de la presse musicale française une des plus surprenantes intégrales des Sonates de Beethoven qui ait jamais parue, je croyais bien la connaître, en ayant écouté à mesure chaque nouveau volume, mais recevant les trente-deux opus enfin assemblés dans un coffret exemplaire, elle prend une toute autre stature.

András Schiff, puisque c’est de lui qu’il s’agit, aura pris son temps pour aborder le cycle et il prend son temps pour le jouer, suscitant des paysages sonores qui sidèrent par leur nouveauté, creusant l’espace du piano beethovénien comme personne depuis Claudio Arrau. La beauté naturelle de sa sonorité se ressource dans l’invention harmonique incessante dont Beethoven fait le socle de son discours. Juste au moment où András Schiff revenait à Bach, y raffinant encore son incroyable legato où pas un gramme de jeu de pédale ne paraît, il trouvait chez Beethoven de quoi employer sa technique stupéfiante en maîtrisant justement le jeu de pédales avec un art consommé. But, tout faire entendre mais surtout tout faire ressentir, et c’est bien souvent le sentiment de me trouver en présence d’une lecture au plus près du texte, amis aussi de l’esprit de Beethoven, qui m’étreint.

András Schiff montra toujours une vive curiosité pour les pianos des facteurs viennois du XVIIIe et XIXe siècles, certains se souviendront qu’il avait gravé pour Hungaroton un stupéfiant disque de pièces brèves sur le propre Broadwood du compositeur de la Hammerklavier (et un autre pour L’Oiseau-Lyre d’œuvres de Mozart) cette connaissance de l’instrumentarium historique lui permet de faire sonner ses pianos modernes très différemment de ce qu’en tirent ses confrères, que ce soit en terme d’accents, de phrasés, d’équilibre des accords, de rythmes (toujours plus diversifiés sans rien perdre de leur vitalité), et évidemment de couleurs.

D’ailleurs, ici, les couleurs ne sont pas ajoutées, elles participent à la nature du son, produisent le discours autant que les phrasés : la Waldstein, le premier mouvement d’une Clair de lune, amère et ténébreuse seront inoubliables à qui les entendra joués d’une façon si différente. Au point que par instants, je me précipite pour réentendre tel passage partition en main. Cela éclaire souvent le texte, comme pour les trois dernières Sonates, La Tempête (incroyablement peinte, un vrai Turner), toutes les petites sonates médianes qui sont merveilleusement senties, menées, lyriques, la fantaisie s’y équilibrant avec un sens de la forme certain. Et parfois, au pied du mur, Schiff ose tout, se jetant dans le premier mouvement de la Hammerklavier dans un tempo quasiment aussi périlleux que celui de Schnabel. Mais vous n’aurez jamais entendu l’Adagio aussi sostenuto, noir, tendu.

Les idées fusent partout et même lorsqu’elle semble un simple caprice, comme l’élan dansé qui ouvre l’une des plus incroyables 27e Sonate jamais gravées, où semble passer une prémonition schubertienne, le texte les justifie. Du reste, András Schiff, versé dans le piano viennois qu’il aura arpenté autant qu’Alfred Brendel, de Haydn à Schubert, replace Beethoven dans ce cadre, lui donnant un surcroît de logique, une cohérence de style. Le cycle des trente-deux Sonates s’unifie.

Mais c’est d’abord la poésie pure, la beauté des sonorités qui saisissent, et cette concentration qui seule peut autoriser une liberté suprême. Au moment où Zoltán Kocsis vient de nous quitter, où plus rien ne nous parvient de Dezső Ránki, cette somme offerte par le troisième mousquetaire du piano hongrois est une sacré consolation.

Toutes les sonates ont été enregistrées en concert à la Tonhalle de Zürich de mai 2004 à mai 2006, sauf les trois dernières captées en septembre 2007 à l’Historischer Reitsadel de Neumarkt in der Oberpfalz. Les pianos sont somptueux, les prises de son magnifiques. András Schiff a autorisé la publication des bis donnés lors du cycle de Zürich, disque inclus dans le coffret de l’intégrale mais qui fait également l’objet d’un tiré à part et dont le programme est détaillé ci-dessous.

LE DISQUE DU JOUR

Cvr Beethoven Coffret Schiff ECMLudwig van Beethoven (1770-1827)
Les Sonates pour piano (Intégrale)

András Schiff, piano
Un coffret de 11 CD du label ECM New Series 2000 4812908
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cover-encore-after-beethoven-schiff-ecmEncores after Beethoven
Franz Schubert (1797-1828)
3 Klavierstücke, D. 946
(extrait : I. Allegro assai)

Allegretto en ut mineur, D. 915
Mélodie hongroie en si mineur, D. 817
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Eine kleine Gigue en sol majeur, KV 574
Franz Joseph Haydn (1732-1809)
Sonate pour piano No. 32 en sol mineur, Hob. XVI:44
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Andante favori en fa majeur, WoO 57
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Partita pour clavier No. 1 en si bémol majeur, BWV 825
(extraits : V. Menuets I & II – VI. Gigue)

Le Clavier bien tempéré, Livre I
(extrait : Prélude et Fugue No. 22 en si bémol mineur, BWV 867)

András Schiff, piano
Un album du label ECM New Series 1950
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Photo à la une : © DR