La Vérité de Richter

C’est étrange, cela m’est toujours demeuré inexplicable : Sviatoslav Richter avouait qu’il n’entendait pas Mozart, qu’il le trouvait compliqué, que sa musique sonnait pour lui contournée. Il lui préférait le « gentil Haydn ». Mais pourtant, ce sera dans le piano de Beethoven qu’il aura le mieux réalisé sa nature profonde, absolument allemande, celle d’un exilé culturel et ethnique dans la Russie des Soviets qui sera tout de même sa patrie.

En Beethoven, il réalisait pleinement sa rage de pianiste et son goût d’esthète, le concertiste piaffait et mordait, l’artiste parlait à cœur ouvert, l’artisan pouvait soigner le moindre sfumato dans La Tempête et l’homme s’exalter dans un époustouflant coït avec l’instrument comme lors du concert où il joua d’un trait les trois dernières Sonates à Leipzig le 28 novembre 1963. Si la Guerre Froide exista, le piano de Richter l’ignora.

C’est tout au long des années cinquante – les enregistrements réunis ici s’échelonnent de 1947 à 1963 – une volonté démiurgique d’incarner ce cosmos de notes que le piano de Beethoven n’avait plus connu depuis Schnabel. En Russie même, Maria Judina avait montré la voix, Maria Grinberg oserait l’intégrale, Richter ne se l’imposa jamais, ce coffret d’ailleurs n’illustre pas même l’intégrale des Sonates qu’il joua, certaines n’ayant été captées que plus tard. Mais enfin, qui voulait une somme cohérente, éclairante, du Beethoven de Richter, devait courir les labels et cumuler les éditions. Ici, il aura l’essence de cette rencontre, distillée durant les meilleures années.

Ce qui est proposé, de son parfaitement édité, constitue un ensemble définitif par la cohérence – de propos, de présence, d’ardeur – doublant parfois certaines Sonates qui prouvent que Richter, dans le trait à main levée du concert réalisait toujours mieux qu’il ne le faisait dans l’atelier du studio. C’est une somme et probablement le meilleur viatique pour qui voudra apprivoiser cet art.

L’entendre si libre et si triste pourtant disant l’Opus 101 à Kiev en juillet 1963, quelle révélation, ou en 1951 tentant les Diabelli et s’y perdant presque à force de saillies, quelle expérience ! Sources, de concert ou de studio, absolument européennes, sinon un doublon de l’Opus 57 à New York en studio la même année que le live à Leningrad (1960), et une relative rareté : le Troisième Concerto à Moscou, tenu de main de maître par Abendroth. Étonnant à quel point le pianiste et le chef évoluent dans une esthétique commune ! Hänssler/Profil serait bien avisé de compiler sur le même modèle une somme Schubert, quitte à illustrer certaines sonates par quatre prises différentes !

LE DISQUE DU JOUR

cover-beethoven-richter-profil-boiteLudwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour piano No. 3
en ut majeur, Op. 2 No. 3

Sonate No. 7 en ré majeur,
Op. 10 No. 3

Sonate No. 8 en ut mineur,
Op. 13 « Pathétique (2 versions)

Sonate No. 9 en mi majeur,
Op. 14 No. 1 (2 versions)

Sonate No. 10 en sol majeur, Op. 14 No. 2 (2 versions)
Sonate No. 11 en si bémol majeur, Op. 22 (2 versions)
Sonate No. 12 en la bémol majeur, Op. 26
Sonate No. 17 en ré mineur, Op. 31 No. 2 « La Tempête » (2 versions)
Sonate No. 18 en mi bémol majeur, Op. 31 No. 3
Sonate No. 19 en sol mineur, Op. 49 No. 1
Sonate No. 20 en sol majeur, Op. 49 No. 2
Sonate No. 22 en fa majeur, Op. 54
Sonate No. 23 en fa mineur, Op. 57 « Appassionata » (2 versions)
Sonate No. 27 en mi mineur, Op. 90
Sonate No. 28 en la majeur, Op. 101
Sonate No. 30 en mi majeur, Op. 109
Sonate No. 31 en la bémol majeur, Op. 110
Sonate No. 32 en ut mineur, Op. 111
33 Variations sur une valse de Diabelli, Op. 120
15 Variations avec Fugue sur un thème original en mi bémol majeur, Op. 35 « Eroica »
6 Variations sur un thème original en fa majeur, Op. 34
6 Variations sur une Marche turque des « Ruines d’Athènes », Op. 76
Rondo en ut majeur, Op. 51 No. 1
Rondo en sol majeur, Op. 51 No. 2
7 Bagatelles, Op. 33 (extraits : Nos. 3 & 5)
11 Bagatelles, Op. 119 (extraits : Nos. 7 & 9)
6 Bagatelles, Op. 126 (extraits : Nos. 1, 4 & 6)
11 Bagatelles, Op. 119 (extrait : No. 2)
Concerto pour piano et orchestre No. 1 en ut majeur, Op. 15
Concerto No. 3 en ut mineur, Op. 37
Rondo pour piano et orchestre en si bémol majeur, WoO 6
Sonate pour violoncelle et piano No. 1 en fa majeur, Op. 5 No. 1
Sonate No. 2 en sol mineur, Op. 5 No. 2
Sonate No. 3 en la majeur, Op. 69
Sonate No. 4 en ut majeur, Op. 105 No. 1
Sonate No. 5 en ré majeur, Op. 105 No. 2

Sviatoslav Richter, piano
Mstislav Rostropovitch, violoncelle
Orchestre Symphonique de l’Etat d’URSS
Orchestre Philharmonique de Moscou
Hermann Abendroth, direction
Kurt Sanderling, direction
Kirill Kondrachine

Un coffret de 12 CD du label Hänssler/Profil PH16030
Acheter l’album sur le site du label Profil/Hänssler, sur le site www.uvmdistribution.com, ou sur Amazon.fr

Photo à la une : © DR