Les carillons de la nuit

En 1916, Enesco assemblait sept pièces qu’on pourrait croire éparses mais qui forment une suite d’images musicales où tout son art de la suggestion sonore parait : les Pièces Impromptues, Op. 18. Impromptues elles le sont, comme jaillies du piano au gré d’une fantaisie hardie, croquis saisis sur l’instant et pourtant d’un trait si sûr.

Elles se referment sur un énigmatique Carillon nocturne, volées de cloches notées sur le motif, prétexte à une écriture en accords où l’harmonie se fend, étreignant de sérénité et de nostalgie. Quel jeu d’échos, quel paysage de sons, que Josu de Solaun laisse résonner à loisir. Le temps s’arrête littéralement.

Le pianiste espagnol – trente cinq ans ce 27 octobre – a remporté le Douzième Concours George Enesco côté clavier ; pour ses premiers sillons, c’était justice de rendre hommage au compositeur qui lui aura porté chance.

D’aucuns auraient gravé sur un disque récital une Suite, une Sonate. Il lui en dédie trois, signant une nouvelle intégrale de l’œuvre pianistique du compositeur d’Œdipe qui décidément a bien de la chance. Après le parcours complet et brillantissime de Raluca Stirbat, cette nouvelle somme devra rejoindre dans votre discothèque celle de la concertiste roumaine. Il ajoute en sus trois pièces inédites au disque datant des années 1890 alors qu’Enesco passait de l’enfance à l’adolescence, un Scherzo, une Ballade, et une pièce brève notée Modérément : le catalogue du Roumain n’en finit pas de s’augmenter, les manuscrits ne nous ont pas encore tout dit.

Au long de cette somme, le grand son d’orchestre qu’y déploie De Solaun va très loin dans la manière altière dont Enesco se saisit du piano. L’intégrale s’ouvre avec l’incroyable Nocturne écrit pour Marie Cantacuzène qui en son centre laisse éclater un orage dévastateur : on songe à la vague du naufrage de Vox Maris tant le pianiste ouvre large l’espace sonore de la grande caisse de son Yamaha. Puis le calme revient, soleil sur la mer et sur les cœurs. Magique, inépuisable musique !

Tout dans ces trois disques est de la même eau, éloquence et poésie, virtuosité et sens de la suggestion, maîtrise de la forme et surtout compréhension intime du langage divagant, libre, complexe de rythmes et d’harmonies qui fait le génie d’Enesco. Autre sommet, la Suite Op. 10, cinq mouvements issus des danses célébrées par les clavecinistes mais emportées par une écriture jaillissante où résonnent des carillons fulgurants, merveille dont le pianiste soigne le brio comme la fantaisie : écoutez seulement la variété de ses trilles dans la Pavane !

Herborisant dans ses trois disques, l’interrogation lancinante qui me poursuit depuis tant d’années revient, plus impérieuse : comment cette œuvre de clavier n’est toujours pas inscrite au Panthéon du piano du début du XXe siècle, aux côtéx de celles de Busoni, Rachmaninov, en regard des opus d’Albéniz, de Debussy et Ravel. Mystère.

LE DISQUE DU JOUR

enescu-buna1Georges Enesco (1881-1955)
L’Œuvre pour piano – Vol. 1
Nocturne pour la Princesse Marie de Cantacuzène,
en ré bémol majeur

Pièces Impromptues, Op. 18,
« Suite No. 2 »

Sonate No. 1 en fa dièse mineur, Op. 24 No. 1
Un album du label Grand Piano GP705
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747313970629-cover-zoom2Georges Enesco
L’Œuvre pour piano – Vol. 2
Suite pour piano No. 2 en ré majeur, Op. 10
Prélude et Fugue
Sonate No. 3 en ré majeur, Op. 24 No. 3
Pièce sur le nom de Fauré
Un album du label Grand Piano GP706
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Cvr Solaun Enesco 3Georges Enesco
L’Œuvre pour piano – Vol. 3
Scherzo
Ballade pour piano
Prélude et Scherzo
Barcarolle en si bémol majeur
La Fileuse
Regrets
Suite No. 1 en sol mineur, Op. 3, « Dans le style ancien », Op. 3
Impromptu en la bémol majeur
Impromptu en ut majeur
Modérément
Un album du label Grand Piano GP707
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Josu de Solaun, piano

Photo à la une : © DR