Voir l’Enlèvement

L’Enlèvement au Sérail, cet opéra de tous les possibles écrit par un Mozart de vingt-six ans, n’en finit pas de titiller les metteurs en scène. Le décor de l’intrigue – la Turquie du XVIIe siècle – les autorise un peu vite à y transporter les scories de l’actualité, djihad compris.

Pour l’édition 2015 du Festival de Glyndebourne, David McVicar s’est bien gardé de polluer le propos de Mozart ni d’ailleurs d’en déformer la musique comme l’a hélas fait Wajdi Mouawad tout récemment à l’Opéra de Lyon, seul bémol d’une production dont l’esprit d’ailleurs n’est pas si loin que cela de celui de McVicar.

Le metteur en scène écossais transpose l’action d’un siècle : on est à l’époque de Mozart, est bien dans un sérail ottoman, les décors sont prodigieux, la direction d’acteurs, d’une finesse dans la fantaisie comme dans la farce, dans la sensualité comme dans la terreur, est portée par une fluidité de l’action scénique permise par tout un ensemble de portes, de panneaux et de moucharabiés amovibles. Les éclairages sont magiques, le spectacle envoûtant de bout en bout.

Comme chez tant de ses confrères, McVicar concentre son attention sur celui « qui ne chante pas » : le Pacha Selim, génialement joué par Franck Saurel, est un enfant du Siècle des Lumières : il entre sur une des musiques les plus magiques jamais écrites par Mozart, l’Adagio de la Gran Partita. Lorsque Konstanze se prépare aux tortures promises en chantant « Marten alle Arten », c’est lui qui souffre et tremble.

Fascinant, tout comme la distribution assemblée ici à commencer par l’Osmin irrésistible de Tobias Kehrer ou Edgaras Montvidas mettant tant de passion et de caractère à son Belmonte qu’il en oublie parfois toute grâce mozartienne, mais quelle voix, quel élan ! Fabuleuse, la Blonde de Mari Eriksmoen, quasiment princier le Pedrillo de Brenden Gunnell ; mais je n’ai d’yeux et d’oreilles que pour la Konstanze de Sally Matthews, ses trilles blonds, ses vocalise liquides, ses mots défaits, sa terreur rayonnante, ses coloratures incendiaires.

Robin Ticciati, la coqueluche de Glyndebourne, mène sa troupe avec panache, mais c’est David McVicar qui a le dernier mot : au final, il nous montre Selim entouré par la tendresse de ses enfants, sauvé de lui-même. Magnifique Enlèvement.

LE DISQUE DU JOUR

entuhrung__opus arteWolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Die Entführung aus dem Serail, K. 384

Sally Matthews, soprano (Konstanze)
Edgaras Montvidas, ténor (Belmonte)
Tobias Kehrer, basse (Osmin)
Mari Eriksmoen, soprano (Blonde)
Brenden Gunnell,
ténor (Pedrillo)
Franck Saurel (Pasha Selim)
Jonas Cradock, ténor (Klaas)

Chœur du Festival de Glyndebourne
Orchestra of the Age of Enlightenment
Robin Ticciati, direction
David McVicar, mise en scène

Un DVD du label Opus Arte OA 1215D
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Photo à la une : © DR