Les mal-aimées

Après Messiaen – son premier disque avec entre autres les Préludes m’accompagna longtemps – Debussy. Et pas comme souvent ces derniers temps le Debussy des deux Livres des Préludes, mais le grand cahier versicolore des douze Études, où le compositeur déploie pour la dernière fois son piano-révolution.

Elles sont complexes de discours, d’imaginaires, de techniques, ouvrent de nouvelles perspectives ; somptueusement fauve, le clavier de Debussy y éclate d’une foison de couleurs, dressant des paysages incroyables.

Marie Vermeulin entre dans leurs pyrotechnies avec la technique parfaite qu’on lui sait, et aussi une sorte de désinvolture du son, de caprice permanent dans les phrasés qui masquent une lecture particulièrement attentive au texte. On entend tout, on voit tout, on comprend que derrière les formes abstraites, derrière la magnificence de la langue, Debussy a conscience de laisser ici un testament autant que dans les trois Sonates : cette musique n’aurait pas pu naître ailleurs qu’en France, et comme au long d’En blanc et noir, l’écho de la Grande Guerre s’y fait entendre – Marie Vermeulin le sait bien, qui fait sonner les appels de trompette de l’Étude pour les quartes comme un signal.

Le disque ne commence pourtant pas par cette grande série de tableaux abstraits, mais par deux des triptyques où Debussy affirma son rapport au clavier : Pour le piano est pris rapide et sombre (cette main gauche angoissée dans le Prélude !) alors que les Estampes, cycle trop souvent oublié au profit des Images, sont entendues comme des études de timbres hypnotiques : toute la science du toucher de cette debussyste née s’y révèle. Il nous faut une suite, finalement demain, les Préludes, les Images mais aussi En blanc et noir (aurait-elle la jolie idée d’y inviter Julien Libeer ?) compléteraient bien ce début de voyage.

LE DISQUE DU JOUR

cover debussy vermeulin
Claude Debussy (1756-1791)
Études, Livres I & II
Pour le piano
Estampes

Marie Vermeulin, piano

Un album du label Printemps des Arts PR1018
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Photo à la une : © Jean-Baptiste Millot