Lignes parallèles

Un premier disque est toujours incertain, voir dangereux. La réclusion dans le studio, loin du public, le morcellement du processus d’enregistrement, la confrontation obsessionnelle avec le texte, tout cela freine l’inspiration, outre qu’un artiste dans sa prime jeunesse doive imposer une conception, sinon une vision.

Ces enjeux ne semblent guère affecter Julien Libeer : dès les premiers accords des si périlleuses Valses nobles et sentimentales et jusqu’à leur dissolution dans une nuit étrange, un pianiste paraît, qui possède son style : clavier clair, jeu subtil et pourtant affirmé, maîtrise des couleurs produisent un discours évident où des phrasés suggestifs apportent autant d’éclairages inédits. Plus encore dans Le Tombeau de Couperin qui est probablement l’un des plus aboutis que j’ai entendus, élégant et ombreux comme celui de Marcelle Meyer, pudique et ailé, suggérant dans le grand crescendo du Menuet ce tombeau qui n’est pas celui des clavecinistes mais des amis disparus dans les carnages de la Grande Guerre.

Cette puissance et cette simplicité, ce jeu poétique, jamais démonstratif mais qui n’en est que plus éloquent relève les subtilités que Dinu Lipatti mit à toutes ses rares œuvres de jeunesse. Les modes roumains n’y sont pas aussi exposés que chez Enesco, mais leurs couleurs parent d’un lyrisme secret le Nocturne et la Sonatine pour la main gauche qui équilibre ses cinq doigts sur tout le clavier.

Mettre en parallèle ce qui dans le piano de Ravel tend le plus à l’épure et ces deux partitions oubliées d’un prince du clavier revient à tisser une sorte d’idéal sonore : un nouveau classicisme de moyens, de ton, de chant, qui même dans le pathétique ou le tragique cherche la lumière. « Lignes claires », décidément le titre de l’album est bien trouvé.

LE DISQUE DU JOUR

cover libeer lignes claires eprLignes claires

Maurice Ravel (1875-1937)
Valses nobles et sentimentales, M. 61
Le tombeau de Couperin, M. 68
Dinu Lipatti (1917-1950)
Nocturne
Sonatine pour la main gauche

Julien Libeer, piano

Un album du label Evil Penguin Records Classic 0020
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Photo à la une : © DR