Ethodaea

Néère, aussi nommée Ethodaea, fille de Niobé et de Tantale fut tuée comme six de ses sept sœurs par les flèches d’Artémis sur les ordres de Léto qui avait entendu leur mère proclamer que ses enfants étaient supérieurs à la déesse laquelle n’avait eu qu’une fille et un fils.

Leconte de Lisle dans ses Etudes Latines fait dépeindre par un amoureux malheureux la belle Néère en ses funérailles, que le garçon sacrifie aux Dieux pour les apaiser. Reynaldo Hahn a modelé un chant pur et sensuel, porté par des accords hiératiques, une offrande en soi, déroulée sur un ton de tombeau. Admirable comme l’antique, beau comme du Proust.

Véronique Gens refermera son nouveau récital chez Hahn qui en est le fil rouge, avec ses mélodies à l’antique où moderne (Trois jours de vendange, que Victoria de Los Angeles aimait tant donner en bis de ses concerts). Comment, portées par une voix si éloquente et si bien conduite, ne pas réaliser que les mélodies de Hahn sont les parentes de celles de Debussy. La fantaisie alerte que lui inspire Charles d’Orléans (Quand je fus pris au pavillon), le bouleversant A Chloris, rayonnent de cette tendresse unique.

Pourtant, ce n’est pas Debussy que Véronique Gens confronte à Reynaldo Hahn, mais Chausson et Duparc. Les Sept mélodies Op. 2 du premier sont chantées avec des charmes et un style qui nous renvoient à la grande école des mélodistes françaises, Hélène Bouvier, Geneviève Touraine, Irma Kolassi, Suzanne Danco auraient applaudi. Dire ceci est assez, avec un petit bémol : l’appui sur « belles » dans « de belles roses » (Le Temps des lilas) dépare un rien son Poème de l’amour et de la mer qu’on aimerait pourtant entendre au complet et avec son orchestre.

Mais partout ailleurs, c’est merveille d’entendre une si belle et une si grande voix habiter ces mélodies qui regardent vers le concert plus que vers le salon. Ecoutez seulement L’Invitation au voyage : portée par le piano orchestre de Susan Manoff, l’autre héroïne du disque admirable de musicalité discrète, de présence inspirante, de timbres évocateurs, Véronique Gens lui rend sa poésie sombre et brillante, exaltant la rêverie baudelairienne : les barytons n’ont qu’à bien se tenir !

Toujours chez Duparc, l’univers tristanesque d’Au pays où se fait la guerre, composé comme une petite scène d’opéra, touche au cœur du propos du compositeur : là encore, Susan Manoff ouvre de son clavier des perspectives poétiques qui enchantent la voix et les mots de Véronique Gens, au point vraiment qu’on les voudrait toutes les deux dans l’ensemble des Duparc, quitte à transposer.

Pour ceux qui veulent ouvrir le dossier Reynaldo Hahn, dont Le Marchand de Venise vient de reparaître sur la scène de l’Opéra de Saint-Etienne révélant pas moins qu’un chef-d’œuvre, Actes Sud et le Palazzetto Bru Zane éditent un ouvrage de 500 pages réunissant des articles explorant toutes les facettes de son art et de sa vie – l’amitié amoureuse avec Proust, la carrière dans les salons et les institutions parisiens, les diverses directions de son œuvre – sous des plumes averties et dans le précieux patronage de Philippe Blay et d’Eva de Vengohechea.

Et maintenant, si le Palazzetto nous éditait dans sa somptueuse collection l’écho sonore de ce Marchand de Venise retrouvé ?

LE DISQUE DU JOUR

cover gens neere alpha
Néère
Mélodies françaises

Reynaldo Hahn (1874-1947)
Études latines, recueil de 10 mélodies sur des textes de Leconte de Lisle (extrait : II. « Néère », V. « Lydé », VII. « Tyndaris », VIII. « Pholoé », X. « Phyllis »)
Trois jours de vendange, sur un texte d’Alphonse Daudet
Quand je fus pris au pavillon, sur un texte de Charles d’Orléans
Le Rossignol des lilas, sur un texte de Léopold Dauphin
À Chloris, sur un texte de Théophile de Viau
Le Printemps, sur un texte de Théodore de Banville
Henri Duparc (1848-1933)
Chanson triste, sur un texte de Jean Lahors
Romance de Mignon, sur un texte librement traduit par Victor Wilder, d’après Johann Wolfgang v on Goethe
Phidylé, sur un texte de Leconte de Lisle
Au pays où se fait la guerre, sur un texte de Théophile Gautier
L’invitation au voyage, sur un texte de Charles Baudelaire
Ernest Chausson (1855-1899)
7 Mélodies, Op. 2
La Chanson bien douce, sur un texte de Paul Verlaine, Op. 34
Poème de l’amour et de la mer, triptyque mélodique pour voix et orchestre / piano sur des textes de Maurice Bouchor, Op. 19 (extrait : Le Temps des lilas)

Véronique Gens, soprano
Susan Manoff, piano

Un album du label Alpha (Classics) 215
Acheter l’album sur Amazon.fr – Télécharger l’album en haute-définition sur Qobuz.com

POUR EN SAVOIR PLUS SUR REYNALDO HAHN

Reynaldo Hahn, Un éclectique en musique – Ouvrage réalisé sous la direction de Philippe BlayActes Sud / Palazetto Bru Zane, un livre de 500 pages
Acheter le livre sur Amazon.fr

Photo à la une : © 2009 Marc Ribes