Coda de la première partie du Sacre : la transe de la Danse de la Terre saisit les claviers de Jean-Efflam Bavouzet et de François-Frédéric Guy. Ils respectent à la lettre l’indication de Stravinski : « prestissimo ». C’est l’affolement du rythme, et à les écouter, le souffle vous manquera.
Voilà bien un des mystères du piano, il vous rend l’orchestre inutile, enfin, superfétatoire. Surtout lorsque deux personnalités de ce calibre s’en saisissent. Pour Le Sacre qui a inventé pour partie l’orchestre moderne, cela pourra paraître paradoxal, mais en effet, il tient dans ces deux pianos sa modernité musicale, comme le sujet même du ballet. C’est que le rythme ici est fondamental, et que les pianistes le font flamboyer. Admirable appropriation qui n’est pourtant pas le sommet du disque.
La subtile translation absolument pas en noir et blanc opérée par Zoltan Kocsis des Deux Images écrites par Bartok en 1910 est plus troublante, car les timbres y jouent à plein, et ici l’alliage entre le ton sec, cerné, de Bavouzet et le clavier gorgé de couleurs de Guy trouvent à employer leurs divergences avec plus d’art .
Mais c’est bien Jeux qui constitue la perle parfaite de l’album. Bavouzet en avait enregistré la version à deux mains, précis d’un orchestre réduit à un diagramme, mais ici, dans la jungle de ces deux claviers, le nocturne érotique prend toute sa dimension. Cette hallucination virtuose, ce paradis torpide, c’est l’étoffe du songe d’une nuit d’été, un Douanier-Rousseau en sons. Ecoutez seulement, et après cela vous comprendrez à la fois Cluytens, Maderna et Boulez, les grands thuriféraires de ce ballet en point d’interrogation.
LE DISQUE DU JOUR
Béla Bartók (1881-1945)
2 Images, Op. 10, Sz. 46
Claude Debussy (1862-1918)
Jeux, L. 126
Igor Stravinski (1882-1971)
Le Sacre du printemps
(version à 4 mains)
Jean-Efflam Bavouzet, piano
François Frédéric-Guy, piano
Un album du label Chandos CHAN2010863
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Photo à la une : © DR