Les Gimpel

Les frères Gimpel sont passés aux oubliettes de l’histoire de l’interprétation musicale, injustice qu’une double publication discographique vient enfin réparer.

Jacob (1906-1989) avait choisi le piano, Bronislaw (1911-1979), prédestiné par son prénom, le violon. Si Jacob connut une carrière somme toute confidentielle – son installation aux États-Unis durant les années trente fut à peu près un fiasco, son retour en Europe en 1950 lui valut une renommée qui ne dépassa pas le cercle des connaisseurs – Bronislaw fut regardé dés ses débuts comme un rival potentiel pour Jascha Heifetz : technique trempée, archet solaire, il ne lui manquait que cette nonchalance naturelle qui fit toujours la différence entre eux : Gimpel fut une victime du trac, Heifetz l’ignorait.

Le disque s’en mêla : Heifetz eut les deux éditeurs les plus prestigieux de chacun des côtés de l’Atlantique pour illustrer son art, His Master’s Voice puis RCA, qui lui offrirent les plus grands chefs et les meilleurs orchestres, Bronislaw Gimpel dut se contenter des accompagnateurs médiocres dont Vox l’affubla et d’une distribution visant les circuits économiques.

J’ai pourtant thésaurisé tous ses disques, mais la parution chez Audite d’un triple album publiant l’ensemble des gravures – concertos, sonates – consenties à la Radio de Berlin de 1954 à 1957 – change radicalement la donne. C’est bien en face d’un des plus grands violonistes de son temps que l’on se trouve soudain, et qui ne le cède en rien ni à Rabin, ni à Milstein. Sommet de l’album, le Concerto de Sibelius, hautain, narratif, tendu à rompre par la direction géniale de Fritz Lehmann, un ajout d’importance à la discographie de l’œuvre : écoutez seulement le crescendo de l’Adagio di molto.

Mais il faut entendre avec quelle science poétique Bronislaw Gimpel anime le folklore imaginaire du Deuxième Concerto de Szymanowski, le style élégant qu’il met au Second de Wieniawski, pour saisir à quel point son art était au sommet dans les années cinquante. En duo avec Martin Krause, les bonheurs sont constants, de l’Opus 162 de Schubert à la Première Sonate de Schumann, quasiment déclamée, à celle de Janáček, fiévreuse, d’une tension assez inouïe.

Album indispensable auquel vous devrez ajouter le disque reprenant quelques enregistrements de son pianiste de frère que vient d’éditer Meloclassic : Francfort, Studio de la Hessicher Rundfunk, le 22 février 1956, puis le 6 octobre 1961.

Jacob Gimpel est revenu en Allemagne depuis dix ans déjà. Une carrière timide a recommencé qui culminera avec quelques enregistrements pour Electrola dont un tempétueux Premier Concerto de Brahms sous la baguette de Rudolf Kempe, et un très stylé Premier Concerto de Chopin avec Georg Ludwig Jochum.

Mais en Polonais de naissance et de cœur, c’est à Chopin qu’il dédie le cœur du récital. Le legato de l’Andante spianato est magique, les deux Mazurkas sont dites comme des poèmes sans oublier la danse, tout cela tenu, classique. Les Scherzos sont vif, emportés, d’une clarté de conception affutée, et d’un son souvent orchestral. Tout comme une Onzième Rapsodie hongroise de Liszt sans esbroufe, très âpre, où le piano se fait cymbalum.

Un grand pianiste ?

Ah oui, et si vous voulez vous en persuader, écoutez la Cinquième Sonate de Scriabine : elle ne pâlit ni devant Sofronitsky ni devant Richter, malgré l’étrange ajout de quelques mesures exogènes dont je me demande bien qui a pu les commettre…

LE DISQUE DU JOUR

bronislaw gimpel _ cover.1200x1200-75Bronislaw Gimpel
The Berlin Radio Records
Jean Sibelius (1865-1957)
Concerto pour violon et orchestre en ré mineur, Op. 47
Karol Szymanowski (1882-1937)
Concerto pour violon et orchestre No. 2, Op. 61
Henryk Wieniawski (1835-1880)
Concerto pour violon No. 2 en ré mineur, Op. 22
Franz Schubert (1797-1828)
Sonate pour violon et piano en la majeur, Op. posth. 162 (D. 574)
Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847)
Sonate pour violon et piano en fa mineur, Op. 4
Robert Schumann (1810-1856)
Sonate pour violon et piano No. 1 en la mineur, Op. 105
Leoš Janáček (1854-1928)
Sonate pour violon et piano
Giuseppe Tartini (1692-1770)
Sonate pour violon en sol mineur, Op. 1 No. 10 « Didone abbandonata »
Karol Rathaus (1895-1954)
Pastorale et Danse pour violon et piano, Op. 39

Bronislaw Gimpel, violon
Martin Krause, piano
RIAS-Symphonie-Orchester (Wienawski, Sibelius)
Radio-Symphonie-Orchester Berlin (Szymanowski)
Alfred Gohlke (Wienawski), Fritz Lehmann (Sibelius), Arthur Rother (Szymanowski), direction

Un coffret de 3 CD du label Audite 21.418
Acheter l’album sur le site du label, cliquez-ici pour accéder à la page de l’album – Télécharger l’album sur Qobuz.com

cover jacob gimpel meloclassicFrédéric Chopin (1810-1849)
Scherzo No. 1 en si mineur, Op. 20
Scherzo No. 2 en si bémol mineur, Op. 31
Impromptu No. 2 en fa dièse majeur, Op. 36
Etude en la mineur, Op. 25 No. 11
Mazurka en la bémol majeur, Op. 50 No. 2
Mazurka en ut dièse mineur, Op. 63 No. 3
Franz Liszt (1811-1886)
Rhapsodie hongroise en ut dièse mineur, S. 244/12
Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847)
Lied ohne Worte (Romance sans paroles), en fa dièse mineur, Op. 67 No. 2
Alexandre Scriabine (1872-1915)
Sonate pour piano No. 5, Op. 53
Enregistrements réalisés en 1956 et 1961

Jacob Gimpel, piano

Un album du label Meloclassic MC1031
Acheter l’album sur le site de Meloclassic, cliquez-ici pour accéder à la page de l’album

Photo à la une : © DR