Polina

Martha Argerich chérit sa personne et son art. Cela suffirait à Polina Leschenko pour carte de visite, mais une fois que l’on a découvert l’artiste, on ne peut plus s’en passer. Ce piano si libre, cette main droite si volatile, ce clavier si éruptif sont d’une magicienne.

Fidèle à Martha qui parraina son premier enregistrement dans la série qu’EMI lui avait offert et qui révéla tant de jeunes talents, trop discrète au concert, heureusement le disque commence à documenter son art. A ce jour, Avanticlassic a publié trois albums.

Le premier, paru en 2005, était un festival Prokofiev : avec Martha une Première Symphonie à deux pianos, ironique, joueuse, pleine d’invention de timbres ; avec Christian Poltera, la plus chantante des versions de la Sonate Op. 119 depuis celle de Rostropovitch et Richter, mais surtout une Septième Sonate bluffante : precipitato-panique qui vous coupe le souffle et qui ouvre sur de saisissants arrêts sur image. Avec cela cette façon de faire imploser les octaves ! J’entends encore retomber des fragments de notes une mesure plus tard. Magique et terrible à la fois.

En 2007, tout un disque Liszt indiquait par son programme l’ambition de composer un portrait complet du compositeur. Prélude et fugue en la mineurLiszt transmue l’orgue de Bach au piano, Polina Leschenko y inventant comme des jeux de cloches, la Chaconne, tenue, dite, timbrée toujours, frappée jamais, une échappée belle vers la fantaisie avec la Valse de Faust jouée très libre, improvisée, d’un pianisme ravageur, et une Sonate en si mineur à l’énergie domptée, mais à l’imaginaire débridée.

A mesure que les années passent, son jeu de haute virtuosité se fait de plus en plus électrique, sa fantaisie flirtant avec l’étrange comme le montre le dernier album paru. Commencé par deux valses de Mischa Levitzki qu’elle joue légères, sur la pointe de ses doigts de diamant, le disque semble parti dans un autre monde, celui des pétrisseurs d’ivoire de l’âge d’or.

Les apartés délicieuses de l’Arabesque valsante, jouées sotto voce, sont quasi irréelles. En préférant la mouture de la Seconde Sonate de Rachmaninov selon Vladimir Horowitz, Leschenko choisit le diable plutôt que le drame.

Ses moyens sont si phénoménaux, son goût du risque tant payé en retour que je m’incline. Mais l’esprit de son jeu trouve son miroir chez Nikolaï Medtner. Le premier cycle des Mélodies oubliées, avec sa grammaire allusive, ses rythmes capricieux, lui va comme un gant, autant le ton de ballade nostalgique de la Sonata-Reminiscenza, que les emportements dionysiaques de la Danza festiva ou le lyrisme dorée des Canzona. Elle nous doit d’autres Medtner, son clavier de nacre et de lune y est chez lui, et du coup nous aussi, enfin. Ce n’était pas arrivé depuis les propres gravures du compositeur.

LE DISQUE DU JOUR

cover prokofiev leschenko avanti
Sergei Prokofiev (1891-1953)
Symphonie No. 1 en ré majeur, Op. 25 « Classique » (arr. pour 2 pianos)
Sonate pour violoncelle et piano en ut majeur, Op. 119
Sonate pour piano No. 7 en si bémol majeur, Op. 83
L’Amour des trois oranges – Marche (arr. pour piano)
Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893)
Souvenir d’un lieu cher, pour violon et piano, Op. 42
Sergei Rachmaninov (1873-1943)
Vocalise

Polina Leschenko, piano
Martha Argerich, piano (Symphonie No. 1)
Christian Poltera, violoncelle (Sonate Op. 119)
Roby Lakatos, violon
Un album du label Avanticlassic 5414706102121

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Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Prélude et fugue en la mineur, pour orgue, BWV 543 (arr. pour clavier : F. Liszt)
Chaconne, extrait de la Partita No. 2 pour violon seul en ré mineur, BWV 1004 (arr. F. Busoni)
Franz Liszt (1811-1886)
Sonate en si mineur
Polina Leschenko, piano
Un album du label Avanticlassic 5414706102725

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cover medtner leschenko avanti
Mischa Levitzki (1898-1941)
Valse « Amour », Op. 2
Arabesque valsante, Op. 6
Sergei Rachmaninov (1873-1943)
Sonate pour piano No. 2 en si bémol mineur, Op. 36 (version 1931)
Nikolaï Medtner (1880-1951)
Mélodies oubliées – Cycle 1, Op. 38
I. Sonata-Reminiscenza – II. Danza graziosa – III. Danza festiva – IV. Canzona fluviala – V. Danza rustica – VI. Canzona serenata – VII. Danza silvestra – VIII. Alla reminiscenza. Quasi coda

Polina Leschenko, piano

Un album du label Avanticlassic 541470610392

Photo à la une : (c) Marco Borggreve