Préludes bis

Décidément les Préludes de Chopin ont ces derniers temps de la chance au disque ! Après la digitalité vertigineuse d’Andrew Tyson, c’est aujourd’hui par l’introspection qu’Ingrid Fliter les envisage de son piano si tenu.

Elle n’en est pas à son premier album Chopin. Pour EMI des Valses détonantes, d’abord par le choix souvent surprenant d’ossias rares assortis d’ornements inventifs, ensuite par la vigueur du propos, succédaient à deux autres albums Chopin, et dés 2006, VAI la captait dans tout un concert donné au Concertgebouw, et dédié à son compositeur fétiche.

Changement d’éditeur, et gain incroyable pour la beauté de la prise de son. Cela était déjà sensible dans la captation proposée par les ingénieurs de Linn Records pour les deux Concertos, les Préludes le confirment d’autant que le piano joué – dont l’éditeur ne souffle mot – égal sur tous les registres, profond avant que d’être brillant, trouve naturellement les couleurs nocturnes du cycle.

Tout est simple ici, jusque dans l’allégement du 19e Prélude, ou dans le presque-rien de son vers quoi va, impavide, le célèbre Largo du 20e. Jusqu’également dans les inventions poétiques dont la pianiste argentine pare, à tempo giusto, c’est-à-dire dans ce cas retenu, le 23e noté Moderato. Elle est bien la seule aujourd’hui à le distiller murmurando sans pour autant tomber dans l’affectation.

C’est merveille pour la veine poétique, mais l’autre face des Préludes, le tourment sombre débusqué par Samson François et Martha Argerich avec un sens du raptus fascinant, est aussi incarné, tempêtes mais d’un son plus minéral que venteux. Ce clavier a du coffre, il irait comme un gant à Brahms. En complément cinq Mazurkas sans danse, mais avec toute la nostalgie du monde et deux grands Nocturnes plus incertains de conception, bémol relatif.

Je referme l’album écouté en boucle avec soudain une interrogation : en couverture une photo posée d’Ingrid Fliter, regard au khôl, chevelure blonde paille. La fille est décidément belle, mais à longueur d’albums, tous ses disques vendent son image – le comble était la cover pulpeuse des Concertos. Marketing encombrant qui ne doit pas vous détourner de ses disques : le plus beau chez Fliter est son jeu.

LE DISQUE DU JOUR

cover chopin preludes fliter linn
Frédéric Chopin
(1810-1849)
24 Préludes, Op. 28
5 Mazurkas
Op. 6 No. 1, en fa dièse mineur
Op. 17 No. 2, en mi mineur
Op. 17 No. 4, en la mineur
Op. 50 No. 3, en ut dièse mineur
Op. 63 No. 3, en ut dièse mineur

2 Nocturnes
Op. 9 No. 3, en si majeur
Op. 27 No. 2, en ré bémol majeur

Ingrid Fliter, piano

Un album du label Linn Records CKD 475

Photo à la une : (c) DR