Le ténor de la nuit

« Im fernen Landen ». Les mots sont précis, sonores et pleins, et lancent le récit de Montsalvat de Lohengrin en rythme. L’allégement de la seconde phrase se suspend un instant sur « Taube » : on voit la colombe. Merveille d’une voix qui fut avant celle de Wunderlich la plus latine, de timbre, d’accent, qu’ait connu l’Allemagne. Ce n’est pas le seul point commun entre les deux chanteurs : ténors lyriques tout deux, tout deux versés naturellement dans Mozart, Tamino ou Belmonte rayonnants, et possédant un tel sens de la langue, du mot autant dit que chanté, qu’ils furent l’un et l’autre chez eux au lied.

Et même destin tragique : Peter Anders disparaît dans un accident de la route à quarante-six ans, Fritz Wunderlich à trente-cinq ans victime d’un escalier perfide.

Anders avait gardé, plus que Wunderlich, les effets de style de l’ancienne école de chant allemande jusque dans les clairons du Zigerunebaron, emmenés avec un chic incroyable et où passe plutôt l’esprit de Berlin que celui de Vienne. Avec dans le soleil du timbre toujours une nuance ombrée, qui trouve en une phrase tous les tourments d’Otello ou les déchirements de Fidelio : quel Florestan, lien idéal entre ceux de Patzak et de Vickers !

Hänssler Classic a bien fait les choses en publiant ces archives de la radio de Baden-Baden : un premier disque tout d’opéras, un second de lieder. Coté lyrique, le portrait est exact : de l’Evangelimann de Kienzl à Florestan en passant par Pinkerton, Don José, Rodolfo, Hans, Max, mais il y manque Mozart !

Je me rembourse avec les trois duos où une Sena Jurinac magicienne paraît. Comme elle lance l’amoroso du duo avec Otello, comme sa Marenka est capricieuse, comme sa Butterfly semble perdue malgré l’émerveillement, comme sa Mickaëla est émouvante ! Et si l’on ajoute que l’orchestre est dirigé par Otto Ackermann !

Tout le disque de lied confine au génie. Ses Schubert généreux en élans et en mots sont impérissables autant que ceux de Wunderlich, Der Musensohn au sommet, avec sa suspension magique à la coda !

Et il sera passionnant de comparer leurs réinterprétations si signées du cycle de Beethoven An die ferne Geliebte. Schumann lui va tout aussi bien, mais la surprise vient d’un groupe de sept mélodies de Tchaïkovski, incroyable de poésie. Impossible de ne pas écouter Dans la clameur du bal en boucle.

LE DISQUE DU JOUR

cover peter anders hanssler
Peter Anders

singt Arien und Lieder
CD 1
Œuvres de Beethoven, Bizet, Kienzl, Puccini, Smetana, J. Strauss, Verdi, Wagner, Weber
CD 2
Œuvres de Beethoven, Schubert, Schumann, Tchaïkovski

Peter Anders, ténor
Sena Jurinac, Nata Tüscher, sopranos
Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg
Otto Ackermann, Paul Burckhard, direction
Heinz Mende, Hubert Giesen, piano

Un album de 2 CD du label Hänssler Classic 94214

Photo à la une : (c) DR {Deutsche Grammophon Gesellschaft}