Sokolov en jaune

Grigory Sokolov se trouvait sans éditeur depuis Yolanta Skura. De toute façon, il ne voulait plus jamais entrer dans un studio d’enregistrement et ses aficionados s’échangeaient depuis vingt ans les concerts enregistrés ça et là par les radios européennes. Mais peut-on voir disparaître des linéaires des disquaires un artiste aussi singulier, suivi par un public acquis, discuté par une critique partagée ?

Heureusement, Deutsche Grammophon a répondu non. Premier concert publié, celui du 30 juillet 2008 au Festival de Salzbourg. Sokolov y revient à son opus favori de Chopin, les Préludes Op. 28, qu’il joue large, en tempos amples, dans un souffle sombre, en refusant de les morceler. Phrasés parfois très personnels, dictés par la conscience de l’écriture polyphonique : sous la floraison de la ligne mélodique, Sokolov n’oublie jamais la profondeur harmonique. Et à tout prendre, ce Chopin qui pourrait sembler trop réflexif change le visage des Préludes, depuis Samson François joués exaltés. Ici la tension provient d’une volonté de retenir.

Mais le concert s’était ouvert avec deux Sonates de Mozart, la fa majeur KV 280, jouée sereine, posée, dans un grand soleil, assez admirable de cantabile, avec dans le Finale un humour très Haydn. Pour la grande Sonate en fa majeur KV 332, le ton change, plus hautain mais sans éclat, passant de récitatifs en majesté à une certaine inquiétude lorsque le chromatisme entraîne l’œuvre au mineur. Toujours de l’espace, une volonté de ne resserrer ni le temps ni l’expression. Et malgré moi je songe que Claudio Arrau ne faisait pas différemment dans son enregistrement pour Philips de la même œuvre.

Les bis sont surprenants, alternant deux poèmes-énigmes de Scriabine joués avec des poses de sphinx et deux Mazurkas de Chopin sans danse, choisies d’abord pour leur lyrisme. Couleurs admirables, phrasés soupesés et sans une once de maniérisme. Puis des Sauvages alertes où l’écriture de Rameau se joue des pièges d’un instrument qu’elle n’a jamais pu imaginer, merveille. « Ich ruf zu Dir » vient clore la soirée, autant dit que chanté, en vrai choral.

LE DISQUE DU JOUR

cover sokolov salzburg dggGrigory Sokolov
The Salzburg Recital

W. A. Mozart (1756-1791)
Sonate No. 2 en fa majeur, KV 280 ; Sonate No. 12 en fa majeur, KV 332
Frédéric Chopin (1810-1849)
24 Préludes, Op.28
Mazurka en la mineur, Op. 68 No. 2
Mazurka en ut dièse mineur, Op. 63 No. 3
Alexandre Scriabine (1872-1915)
2 Poèmes, Op. 69

Grigory Sokolov, piano

Un album de 2 CD du label Deutsche Grammophon 4794342

Photo à la une : (c) DR