La tradition heureuse

Qui connait Emil Nikolaus von Řezníček ? Passé à une relative postérité par l’ouverture de sa Donna Diana – qu’Erich Kleiber inscrivait volontiers à ses bis –, intime de Richard Strauss, montrant à l’égard du régime nazi une indifférence glaciale, d’ascendance tchéquo-roumaine, il est un pur produit de l’empire habsbourgeois. Le succès de sa Donna Diana lui valut la réputation d’un auteur brillant, d’abord dévolu à la scène.

Erreur de perspective. Le grand œuvre de Řezníček est à l’orchestre symphonique, comme le démontre la large saga discographique ouverte par l’éditeur allemand CPO. Et son orchestre se scinde en deux. Brillant, novateur par le détail, ironique lorsqu’il prend la plume pour railler la Heldenleben de son ami Strauss dans son Schlemil. Dans la plus pure tradition germanique lorsqu’il se consacre aux symphonies proprement dites.

Si la 5e, la Tanzsinfonie, essaye une fusion de ces deux manières, les 3e et 4e que Frank Beermann et sa Robert-Schumann-Philharmonie revisitent aujourd’hui, semblent coulées d’une tradition justement issue de Schumann.

Reznicek-Leipzig-1927_gesamt
Le compositeur Emil Nikolaus von Řezníček à Leipzig en 1927 – Photo : (c) DR

Řezníček ne partagea guère les critiques envers les talents de symphoniste de Schumann émises par ses confrères – à commencer par celles de Gustav Mahler, qui y alla de ses propres réorchestrations.

La 3e Symphonie reprend d’ailleurs les procédés de l’orchestre de Schumann, volonté de réinscrire ce corpus méprisé dans la grande lignée symphonique germanique. Résultat troublant, il me faudra encore bien des écoutes pour en saisir et l’écriture et le sens. Car rien chez Řezníček ne peut-être confondu avec les facilités de style employées par la noria des compositeurs postromantiques. Il y a dans sa manière un art de la différence qui déteste la synthèse quitte à risquer le paradoxe.

Si la 3e regarde vers Schumann et l’assimile en une langue moderne, la 4e suractive, étonnante par ses humeurs et son caractère, est du tout grand Řezníček. L’orchestre caracole, les formules claquent, les couleurs fusent et l’ampleur du discours appuyé sur une invention mélodique incessante semble célébrer le retour de la paix. L’Empire austro-hongrois était dépecé par le Traité de Versailles, Řezníček continuait de le célébrer.

LE DISQUE DU JOUR

7776372_cover.inddEmil Nikolaus von Řezníček (1860-1945)
Symphonie No. 3 en ré majeur,
« im alten Stil »

Symphonie No. 4 en fa mineur

Robert-Schumann-
Philharmonie

Frank Beermann, direction

Un album du label CPO 777637-2

Photo à la une : (c) DR