Avances de styles

On a mis assez longtemps avant d’entrer dans les derniers Mozart publiés par Nikolaus Harnoncourt. A vrai dire, on n’y est toujours pas parvenu pour la Zauberflöte de Salzbourg défigurée par la mise en scène dispersée, toute en couleurs flashi, et pour tout dire simplement agaçante de Jean-Daniel Herzog (2 DVD Sony Classical 88843005729). Seules révélations, le Tamino ardent de Bernard Richter, et le Sarastro ambigu de Georg Zeppenfeld. Mais l’orchestre, lui, didactique, grevé de maniérismes, débitant sans soucis des chanteurs le génie mélodique de Mozart en tranches, nous paraît si incongru qu’on préfère oublier.

Le même sentiment nous a accompagnés durant les trois premières auditions des trois ultimes symphonies. Tempos cravachés, gestes péremptoires, citations baroques, toute une grammaire singulière, âpre, différente qui interroge mais répond rarement à ses propres questions. Harnoncourt annonce qu’il conçoit les trois opus comme une seule grande partition, d’ailleurs il enchaine les 39 et 40 d’un seul souffle, et cela produit un effet certain, qui ne se retrouvera pas pour la Jupiter, isolée sur le deuxième CD … misère de la technique !

Le projet n’est pas neuf, Harnoncourt entendait déjà en 1991 les trois œuvres coulées dans le même souffle, mais l’idée force qu’il recouvre est de faire entendre toutes les reprises – ce qui soudain donne une dimension supplémentaire à ce trio final. Harnoncourt voulait-il finalement faire éclater les cadres de la symphonie classique ? Le Concentus Musicus répond oui en affichant un sacré paradoxe : avec ses instruments anciens, ses couleurs différentes, il sonne plus moderne que le Concertgebouw. Sur cela, Harnoncourt impose son geste didactique – la veille recette de faire parler la musique fonctionne toujours, les accents, les suspensions, les phrasés tirent l’oreille quitte à lui faire regretter les gestes plus simples mais tout aussi éloquents de Böhm, de Szell ou de Reiner – mais il y a un revers : les maniérismes, les « surlignements » délitent la magie de la musique. On fera avec, car Harnoncourt met tant de pathos et de théâtre dans ses lectures qu’il finit par projeter ces douze mouvements hors de leur temps. Classique ? Romantique.

Le 14 octobre 2013, Harnoncourt bouclait sa trilogie Mozart à Vienne, les 25 et 27 octobre on le retrouvait à la tête du Concertgebouw pour la 5e Symphonie de Bruckner, qu’il avait déjà documentée au disque avec les Wiener Philharmoniker. Là encore, les tempos sont rapides, le geste alterne soulignements et effacements, la virtuosité sidérante des musiciens amstellodamois offrent une souplesse de réaction inimaginable que la captation vidéo documente avec précision.

Voila qu’on regrette à rebours qu’Harnoncourt n’ait pas plutôt revisité ses Mozart avec eux : ils lui donnent les moyens de sa politique. On oublie du coup tout ce qui, empesé, magnifique et un rien vide, dépareillait son propos avec les Wiener Philharmoniker. Ce Bruckner sans dieu, factuel, précis, où les silences sont des vides et pas des suspensions, est comme hanté par une in-tranquillité inextinguible. Le Scherzo menace, ironise, alterne avec un sourire ambigu l’angélisme et l’étrange. La fugue du Finale est rageuse, et lorsqu’ailleurs doit paraître la poésie, les souffleurs font merveille, le cor, la clarinette surtout, mettant soudain dans tant de violence du velours et de la soie. Mais l’on sort de ce concert sidérant en se disant qu’Harnoncourt ferait aujourd’hui une incroyable 6e de Mahler. Et l’on doit s’avouer que son Bruckner a oublié Schubert pour envisager Schönberg. Romantique ? Expressionniste.

LES DISQUES DU JOUR

cover mozart harnoncourt concentus musicus sonyWolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Symphonie No. 39 en mi bémol
majeur, KV543

Symphonie No. 40 en sol mineur,
KV550

Symphonie No. 41 en ut majeur,
KV551

Concentus Musicus Wien
Nikolaus Harnoncourt, direction
Un album de 2 CD Sony Classical 888643026352

rcolive_harnoncourt_bruckner
Anton Bruckner
(1824-1896)
Symphonie No. 5 en si bémol majeur

Royal Concertgebouw Orchestra
Nikolaus Harnoncourt, direction
Un Blu-Ray RCO14106

Photo à la une : (c) Marco Borggreve