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Lyrisme et panthéisme

Riccardo Chailly prévient en quelque sorte en précédant la Troisième Symphonie de la Vocalise qu’il nimbe d’une nostalgie subtile : il ne fera pas saillir les écritures névrotiques que tant soulignent dans l’ultime symphonie de Rachmaninov, non, au contraire, ses audaces, sa versatilité, ses amertumes il les lie tout ensemble dans un vaste geste lyrique où les lignes mélodiques chantent à profusion dans des décors sonores d’un raffinement que les orchestres russes n’y auront jamais mis, question de simple virtuosité des pupitres : Rachmaninov écrivait pour les Philadelphiens, qui formaient alors, à l’égal de leurs collègues de Boston, l’orchestre le plus européen des Etats-Unis, et ce jusque dans la facture des instruments utilisés.

Cette virtuosité éclairante, Riccardo Chailly la trouve dans les super solistes réunis à Lucerne, et la forêt polyphonique de cette grande symphonie crépusculaire supplante enfin ses foudroiements qui n’étaient que l’extérieur de son écriture : soudain la Troisième se coule au long du grand fleuve lyrique de la Deuxième Symphonie, dont le chef italien nous offrira peut-être un jour la version sans aucune coupure.

Hélas, il aura préféré ouvrir ce concert tout Rachmaninov avec le Troisième Concerto, le dirigeant également lyrique, tout en sfumatos nostalgiques, pour mieux buter contre le piano en bois de Denis Matsuev, virtuose certes, mais sans un gramme des imaginations que l’orchestre essaye pourtant de lui suggérer.

Riccardo Chailly n’aura pas ce souci pour l’envoûtant programme Respighi qu’il confie à son Philharmonique de la Scala, préférant pendre les solistes en leur sein pour les deux pages qui donnent à l’album sa touche de rareté : le violon solo de la Leggenda, Francesco De Angelis qui joue le Stradivarius de Josef Suk, émane de l’orchestre comme une voix – il faudra qu’il nous enregistre le plus célèbre Poème d’automne. Les deux hautbois agrestes de Di sera glissent leur chant vespéral dans le lacis des cordes, ces deux miniatures formant avec l’Aria un triptyque où l’art du jeune Respighi évoque pour la dernière fois l’univers de Martucci.

Le pastiche de la 3e Suite des Danses et airs antiques pour luth émerveille par la finesse de ses dessins, son allant, la pureté brillante qui se teinte de nostalgie, Chailly l’aura préférée aux Fêtes romaines, brisant le triptyque (qui sait, pour nous réserver la surprise d’un second volume ?), gardant les seuls Pins et Fontaines, la ténébre et la lumière.

Ses Pins versent au sombre après l’arc-en-ciel d’une aveuglante précision de la Villa Borghèse : les deux lentos imposent un orchestre de cendres qui creusera encore la sourde rumeur ouvrant sur la Via Appia dont la marche pleine de buccins est d’un éclat terrible.

Le miracle de ce disque fascinant reste les quatre FontainesRiccardo Chailly distille un orchestre d’une poésie insensée, panthéisme doré qui distille le silence de l’aube à la Valle Giulia pour mieux faire entendre l’alouette perdue dans un feuillage de cordes, jaillissement emperlé de soleil où s’ébroue le Triton, grand déploiement des jeux d’eau de Trévise dans une lumière aveuglante, avant que le ruban doré qui serpente dans le couchant des jardin de la Villa Medicis ne chante son poème où perlent déjà des étoiles sonores, cloches distantes qui endorment le paysage.

Tout cela fait avec une précision des timbres, des alliages, des respirations dont la finesse d’exécution fait, au travers des sensualités de Respighi, penser à la perfection d’un orchestre ravélien. Magique, et qui commande une suite à cette première anthologie.

LE DISQUE DU JOUR

Sergei Rachmninov
(1873-1943)
Symphonie No. 3 en la mineur, Op. 44
Vocalise, Op. 34 No. 14 (version orchestrale)
Concerto pour piano No. 3 en ré mineur, Op. 30
Étude-tableau en la mineur, Op. 39 No. 2 (arr. pour orchestra : Ottorino Respighi)

Denis Matsuev, piano
Orchestre du Festival de Lucerne
Riccardo Chailly, direction
Un DVD du label Accentus Music ACC20487
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Ottorino Respighi
(1879-1936)
Pini di Roma, P. 141
Antiche danze ed arie per liuto – Suite No. 3, P. 172
Fontane di Roma, P. 106
Aria per archi (arr. pour orchestre : Di Vittorio)
Leggenda en sol mineur, P. 036
Di sera, pour deux hautbois et cordes, P. 048

Filarmonica Della Scala
Riccardo Chailly, direction
Un album du label Decca 0002894850415
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Photo à la une : le chef d’orchestre Riccardo Chailly – Photo : © DR

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Trésor du Mexique

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Voyage vers la jeunesse

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Vitrail

La musique de l’œil ! Ottorino Respighi voyait ses instruments en couleurs, son orchestre tel un tableau, impressionniste après les impressionnistes, précisant leurs paysages sans en ôter les atmosphères, simplement le plus génial orchestrateur après Debussy et Rimski-Korsakov, l’égal de Ravel ou de Stravinski.

Les années vingt furent sa décennie dorée, ce que rappelle le somptueux nouvel album que John Neschling et l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège, auteurs d’une série Respighi décidément à suivre : la prise de son si réaliste de Martin Nagomi, la direction artistique si précise d’Ingo Petry participent à plein de cette réussite : non seulement, on voit les toile de Botticelli, mais on sent les embruns que le peintre florentin a capturés dans son pinceau, quelle Primavera !

Vous l’aurez compris, le disque s’ouvre sur ce que je considère comme le chef-d’œuvre orchestral de Respighi, ce Trittico botticeliano de 1927, petit orchestre dont le nuancier, la mobilité des traits, la profondeur des couleurs et leurs lumières touchent au sublime, si subtilement animés par la battue attentive de John Neschling.

Le disque se referme sur les Vetrate di Chiesa, jeux de lumières infinis qui se rassérènent dans des tableaux sacrés emplis de modes grégoriens, le moins connu des cahiers orchestraux, et pourtant d’une facture particulièrement subtile. Au centre du disque, une autre merveille, Il tramontoAnna Caterina Antonacci raconte enfin l’histoire que narre le poème de Shelley, y faisant jeu égal avec Sena Jurinac et Janet Baker.

Voilà justement de quoi composer le prochain volume – ce sera le sixième – de cette série inspirée : La Sensitiva, Aretusa, Nebbie attendent le mezzo diseur de la chanteuse italienne.

LE DISQUE DU JOUR

Ottorino Respighi (1879-1936)
Trittico boticelliano, P. 151
Il tramonto, P. 101
Vetrate di Chiesa, P. 150

Anna Caterina Antonacci, soprano
Orchestre Philharmonique Royal de Liège
John Neschling, direction

Un album du label BIS 2250
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Photo à la une : © DR