Archives par mot-clé : Maurice Ravel

L’âge d’or

Les Chansons madécasses, ce chef-d’œuvre radical de Ravel, ont été confisquées par les mezzo-sopranos, souvent avec génie. Pourtant les poèmes d’Evariste Parny désignent clairement leur locuteur : un homme.

Je connaissais pourtant la version de Jean-Christophe Benoît, je ne m’en suis souvenu lorsque Bernard Kruysen m’offrit à l’été 1989 son propre enregistrement, où le rejoignaient Frans Vester, Anner Bijlsma et Gérard van Blerk (BR Klassik, cherchez ça !). Quel choc, soudain l’œuvre paraissait si moderne, si sombre, si âpre !

Je retrouve cette sensation de redécouverte en écoutant, médusé, le ton furieux, les mots amers, le style parfait qu’y met Stéphane Degout, merveille funeste qui s’étend même aux langueurs de la dernière mélodie. Le violoncelle percussif d’Alexis Descharmes, la flûte mordante ou pâmée de Matteo Cesari font avec le piano un petit orchestre évocateur. Ces Histoires naturelles, où Cédric Tiberghien crée des décors debussystes, ne sont peut-être pas assez « sèches », mais l’humour est désopilant tant ensemble ils les jouent « sérieusement ».

Mais l’essentiel du récital (car on est au concert) est dévolu à Poulenc, le duo s’y sublime car le pianiste et le chanteur sont écrits absolument au même niveau, surtout pour les cycles sur des poèmes d’Apollinaire réunis ici, Stéphane Degout en saisissant la fantaisie profonde, les étranges rêveries, enlaçant sa voix dans le clavier diseur de Cédric Tiberghien qui parle autant que lui.

Quel grand duo, probablement celui qu’on attendait depuis si longtemps pour la mélodie française, depuis celui de Bernard Kruysen et Noël Lee. Duparc et Debussy les attendent demain. Jolie idée, le disque s’ouvre sur la voix d’Apollinaire qui dit Le pont Mirabeau.

LE DISQUE DU JOUR

Histoires naturelles

Francis Poulenc (1899-1963)
Le bestiaire, FP 15
Montparnasse, FP 127/1
Hyde Park, FP 127/2
Calligrammes, FP 140
Quatre poèmes de Guillaume Apollinaire, FP 58
Banalités, FP 107
Maurice Ravel (1875-1937)
Chansons madécasses, M. 78
Histoires naturelles, M. 50

Stéphane Degout, piano
Alexis Descharmes, violoncelle
Matteo Cesari, flûte
Cédric Tiberghien, piano

Un album du label B Records LBM009
Acheter l’album sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Photo à la une : © Julien Benhamou

Trois beaux oiseaux de Paradis

Maurice Ravel composa durant l’hiver 1914-1915 un premier tombeau pour les Français tués à l’ennemi, un chœur a capella enchâssé au cœur d’un triptyque où trois solistes (soprano, ténor, baryton) content l’annonce de la mort d’un ami tombé au front Continuer la lecture de Trois beaux oiseaux de Paradis

Vitrail

La musique de l’œil ! Ottorino Respighi voyait ses instruments en couleurs, son orchestre tel un tableau, impressionniste après les impressionnistes, précisant leurs paysages sans en ôter les atmosphères, simplement le plus génial orchestrateur après Debussy et Rimski-Korsakov, l’égal de Ravel ou de Stravinski.

Les années vingt furent sa décennie dorée, ce que rappelle le somptueux nouvel album que John Neschling et l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège, auteurs d’une série Respighi décidément à suivre : la prise de son si réaliste de Martin Nagomi, la direction artistique si précise d’Ingo Petry participent à plein de cette réussite : non seulement, on voit les toile de Botticelli, mais on sent les embruns que le peintre florentin a capturés dans son pinceau, quelle Primavera !

Vous l’aurez compris, le disque s’ouvre sur ce que je considère comme le chef-d’œuvre orchestral de Respighi, ce Trittico botticeliano de 1927, petit orchestre dont le nuancier, la mobilité des traits, la profondeur des couleurs et leurs lumières touchent au sublime, si subtilement animés par la battue attentive de John Neschling.

Le disque se referme sur les Vetrate di Chiesa, jeux de lumières infinis qui se rassérènent dans des tableaux sacrés emplis de modes grégoriens, le moins connu des cahiers orchestraux, et pourtant d’une facture particulièrement subtile. Au centre du disque, une autre merveille, Il tramontoAnna Caterina Antonacci raconte enfin l’histoire que narre le poème de Shelley, y faisant jeu égal avec Sena Jurinac et Janet Baker.

Voilà justement de quoi composer le prochain volume – ce sera le sixième – de cette série inspirée : La Sensitiva, Aretusa, Nebbie attendent le mezzo diseur de la chanteuse italienne.

LE DISQUE DU JOUR

Ottorino Respighi (1879-1936)
Trittico boticelliano, P. 151
Il tramonto, P. 101
Vetrate di Chiesa, P. 150

Anna Caterina Antonacci, soprano
Orchestre Philharmonique Royal de Liège
John Neschling, direction

Un album du label BIS 2250
Acheter l’album sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Photo à la une : © DR

La grâce

Quatre opus, quatre compositeurs, quatre chefs-d’œuvre oui, et si distants, si différents que l’interprète n’aurait d’autre solution que de s’y faire entendre d’abord. Mais non, Ludmila Berlinskaya choisit selon son cœur, ses doigts se fondent dans les discours si singuliers de Beethoven, de Schumann, de Ravel, de Medtner, trouvant pourtant à chaque fois de quoi rendre si émouvant son art subtil et élégant.

Dans l’Opus 109, la confidence prime, en doigts allusifs qui au cantabile feront des trilles de papillon après avoir chanté du Bach dans le Gesangvoll, merveille qui semble venue d’un autre temps pianistique, et qui envole littéralement le prestissimo comme le faisait jadis Schnabel. Si cela n’est pas le portique d’un disque majeur !

Les Kreisleriana, suggestives, alertes, sans grandiloquence, vont au cœur de Schumann, avec cette folie qui n’est jamais hystérique, mais soudain crée comme une angoisse. Noir sans le noir, encore un autre tour de magie qui se retrouve assez exactement dans des Valses nobles et sentimentales jamais brillantes, toujours profondes, véritable danse au bord du volcan dont l’étrange tourbillon alenti rappelle le Ravel des Miroirs, puisse-t-elle les enregistrer un jour car son toucher où les notes se jouent comme des lumières est idéalement ravélien.

Après la Sonate de Beethoven, Ludmila Berlinskaya effeuille la nostalgie de la Sonata Reminiscenza de Medtner, songeuse, comme prise dans la magie d’un conte, et c’est Medtner encore qui ouvre le concert qu’elle donne à la petite salle du Conservatoire de Moscou avec ses amis du New Russian Quartett : le Quintette en ut, qui occupa Medtner au long cours de 1904 à 1948, où il tutoie Brahms avec une pointe de génie n’aura jamais trouvé lecture plus émouvante. C’est le clou de cet autre album avec l’Ouverture sur des thèmes juifs de Prokofiev où la clarinette d’Igor Fedotov met son incroyable sonorité Klezmer. Chostakovitch eût goûté le rapprochement avec son âpre Quinette que tous emmènent dans une seule grande ligne, unifiant les cinq mouvements de cette œuvre terrible. Mais commencez d’abord par l’album solo.

LE DISQUE DU JOUR

Reminiscenza
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour piano No. 30 en mi majeur, Op. 109
Nikolaï Medtner (1880-1951)
Sonate en la mineur, « Reminiscenza » (extrait des « Mélodies oubliées, Op. 38 »)
Robert Schumann (1810-1856)
Kreisleriana, Op. 16
Maurice Ravel (1875-1937)
Valses nobles et sentimentales, M. 61

Ludmila Berlinskaya, piano
Un album du label Melodiya MELCD1002526
Acheter l’album sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Quintet + Live
Nikolaï Medtner (1880-1951)
Quintette pour piano et cordes en ut majeur, Op. posth.
Sergei Prokofiev (1891-1953)
Ouverture sur des thèmes juifs, Op. 34
Alexey Kurbatov
Sextuor
Dmitri Chostakovitch (1906-1975)
Quintette pour piano et cordes en sol mineur, Op. 57

Ludmila Berlinskaya, piano
Igor Fedotov, clarinette ( Prokofiev, Kurbatov)
New Russian Quartet
Un album du label Melodiya MELCD1002486
Acheter l’album sur Amazon.fr

Photo à la une : © DR

Le maître des solistes

Radio de Moscou, 8 Octobre 1956, Maria Yudina sculpte le Concerto en ré mineur de Bach d’un ciseau puissant. Le document fut toujours rare, édité un temps sous un improbable label aux Etats-Unis, mais c’est un coup de génie auquel Kurt Sanderling accorde Continuer la lecture de Le maître des solistes