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Les deux Modernes

Douze ans après son album Scarlatti pour Decca, András Schiff poursuivait son voyage dans le labyrinthe des Sonates qu’il avait déjà arpenté pour Hungaroton : la sélection lucernoise ne recoupe que partiellement l’une et l’autre, surtout Schiff y est bien plus libre et tout aussi parfait, se souciant moins que certains de souligner les caractères, mais faisant entendre tout le modernisme de cette musique si à part de son temps, géographiquement et esthétiquement.

Je savoure ce clavier si sonore qui n’oublie ni la danse ni l’Arcadie mais fait jaillir cette langue si neuve quasi malgré elle.

L’éditeur a eu la belle idée d’y ajouter la sélection piquante opérée l’année précédente dans les Jeux de György Kurtág, où le pianiste raffine autant qu’il acidifie ces fascinants haïkus de clavier : clore ce voyage par l’évocation de Janáček (Les Adieux) fait regretter que quelques pièces du Sentier ne viennent y faire écho.

LE DISQUE DU JOUR

Domenico Scarlatti
(1685-1757)

Sonate en ré majeur, Kk. 96,
L. 465
Sonate en fa majeur, Kk. 518,
L. 116
Sonate en fa minor, Kk. 519,
L. 475
Sonate en la majeur, Kk. 208,
L. 238
Sonate en la majeur, Kk. 209, L. 428
Sonate en la minor, Kk. 175, L. 429
Sonate en ut majeur, Kk. 513, L. 3
Sonate en mi minor, Kk. 394, L. 275
Sonate en mi majeur, Kk. 395, L. 65
Sonate en sol minor, Kk. 426, L. 128
Sonate en sol majeur, Kk. 427, L. 286
Sonate en si bémol majeur, Kk. 544, L. 497
Sonate en si bémol majeur, Kk. 545, L. 500

György Kurtág (né en 1926)
Játékok (Jeux), Volume V (6 extraits : Fanfares ; Une voix dans le lointain [pour le 80e anniversaire d’Alfred Schlee] ; Préface à une exposition (Endre) Bálint ; Brins d’herbe en mémoire de Klára Martyn ; Valse ; In Memoriam György Szoltsányi)
Játékok (Jeux), Volume VI (7 extraits : Sirènes du déluge ; Humble regard sur Olivier Messiaen ; In Memoriam Tibor Szeszler ; Doina ; Päan ; Marina Tsvetayeva – c’est l’heure ; Les Adieux [in Janáčeks Manier])

András Schiff, piano
Enregistrements réalisés en concert en 1998 et 1999>

Un album du label audite Musikproduktion (Collection « Festival de Lucerne ») 87.838
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Photo à la une : le pianiste András Schiff, à Lucerne, en 2015 –
Photo : © Peter Fischli/Festival de Lucerne

Joueurs de tennis

Les raffinements de sensualité que Debussy déploya dans Jeux – accessoirement l’autre révolution d’orchestre du XXe siècle avec Le Sacre du printemps, son strict contemporain – ont un sujet : une partie de tennis à la tombée du jour. Continuer la lecture de Joueurs de tennis

Clarté

Un seul exemple : la Marche écossaise, partition tenue pour mineure, alors que Debussy la révisa en 1908. Tous l’auront dirigé une peu massif, Hans Rosbaud au contraire se régale de ses édens harmoniques, de son orchestre fouillé Continuer la lecture de Clarté

Jeux

Depuis sa création le 15 mai 1913, au Théâtre des Champs-Elysées sous la baguette de Pierre Monteux, Jeux effrayait les orchestres, mais aussi les chefs. Debussy y avait écrit tout un nouveau monde de sons et de rythmes qui allaient plus loin encore dans l’abstraction lyrique que ne l’avait fait la simple complexification métrique du Sacre du printemps.

Comme aimait à le rappeler Pierre Boulez, Jeux est l’alpha de l’orchestre moderne. Monteux lui-même l’aura dompté pour le ballet – deux lectures en concert témoignent de sa mise en place au cordeau – mais ce seront les chefs d’orchestre dévolus à la musique de leur temps, Bruno Maderna puis Pierre Boulez qui en saisiront toute l’importance historique, précédés au disque par deux pionniers : Victor de Sabata, lui-même compositeur, et Ernest Ansermet.

Octobre 1953, Victoria Hall, Gil Went et Roy Wallace règlent leurs micros pour saisir ce qui deviendra la version la plus parfaite du chef-d’œuvre de Debussy enregistrée alors. Si Ansermet se souvient du ballet – ses tempos sont ceux des danseurs – il fait entendre avec une impérieuse sensualité chaque repli harmonique de cette langue si neuve, pliant, dépliant, froissant, défroissant son orchestre qui semble un grand félin dans la nuit.

Cette poésie gorgée de timbres où danse encore le souvenir du faune languide, si sensuel, torride comme une nuit d’été, vous enveloppe littéralement d’une symphonie de sons. Abstrait et érotique pourtant. Ansermet refera d’autres Jeux tout aussi réussis (et peut-être plus fluides, de mouvements moins détaillés, ici on voit les beaux muscles), je vous en ai causé il n’y a pas si longtemps, mais il faut connaître ceux-ci, enregistrés pour faire exemple, et qui sont pourtant la vie même.

L’éditeur ajoute la version la moins connue de La Mer (octobre 1957) selon le chef helvète, un rien plus sombre que les trois autres moutures, et passe aux séances parisiennes dévolues à Paul Dukas : L’Apprenti sorcier narré comme un tranquille cauchemar, mais surtout et pour la première fois rééditée en stéréophonie, La Péri (sans sa Fanfare), torpide, sensualiste, emperlée, toute en diaprures, un Orient de sons qui tourne immanquablement la tête. Ernest Ansermet était décidément bien plus que l’esprit cartésien auquel certains veulent le réduire.

LE DISQUE DU JOUR

Claude Debussy (1862-1918)
La Mer, L. 111(enr. 1957)
Jeux, L. 133 (enr. 1953)
Paul Dukas (1732-1809)
La Péri
L’Apprenti sorcier

L’Orchestre de la Suisse Romande, mezzo-soprano
Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire
Ernest Ansermet, direction

Un album du label Decca 4824975 (Collection « Eloquence Australia »)
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Photo à la une : Le chef d’orchestre Ernest Ansermet – Photo : © OSR