Tous les articles par Jean-Charles Hoffelé

Verlaine

Au cœur de la Grande Guerre, Louis Vierne assemble dix poèmes de Verlaine sous un titre terrible : Spleens et détresses. Ce sera l’un de ses opus majeurs, où une tristesse étrange se mêle à des bizarreries, comme cette Sérénade si acide, presque grotesque : voici un cycle méprisé qui devrait à l’instar des Clairières dans le ciel de Lili Boulanger trouver sa place aux côtés des opus signés par Fauré, Debussy et Ravel.

Dire que le mezzo corsé d’Anaïk Morel en dévoile toutes les beautés est un euphémisme, et pourtant jadis Mireille Delunsch elle-même en offrit une magnifique interprétation. Mais le timbre de Morel, révélé voici peu dans un plein album de mélodies de Charles Koechlin correspond exactement à la couleur de ce cycle. Muza Rubackyté lui déploie tout un orchestre de son piano.

Elle ajoute en compagnie du Quatuor Terpsycordes l’autre partition emblématique de l’année 1917, la vaste Quintette, entre déploration et fureur : le 12 novembre, Vierne perd son second fils. Jacques meurt au front dans des circonstances troubles : on ne saura jamais s’il se sera suicidé ou s’il aura été « fusillé pour l’exemple » avec ses camarades des tranchées.

Vierne avait consenti à son engagement prématuré, mais le jeune homme s’était rapidement ouvert de son dégoût face aux horreurs de la guerre : il avait dix sept ans. Dans cette œuvre manifeste, le piano est l’acteur principal, Muza Rubackyté l’a bien compris, qui entraine dans son jeu flamboyant un quatuor intense, violent. Une quintette ? Une symphonie !

LE DISQUE DU JOUR

cover vierne piano quintet ruba brilliant
Louis Vierne (1870-1937)
Spleens et détresses, cycle
de 10 mélodies pour voix
et piano, Op. 38

Quintette pour piano et cordes en ut mineur, Op. 42

Anaïk Morel,
mezzo-soprano
Muza Rubackyté, piano
Quatuor Terpsycordes
Girolamo Bottiglieri, Raya Raytcheva, violons – Caroline Cohen-Adad, alto – François Grin, violoncelle

Un album du label Brilliant Classics 95367
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Photo à la une : Louis Vierne et le jeune Bernard Gavoty, en 1933 – Photo : © DR

Argerich 75

Le 5 juin dernier, Martha Argerich fêtait ses soixante-quinze ans. Son legs discographique, dispersé entre quantité d’éditeurs, n’aura pas permis d’assembler un de ces forts coffrets Continuer la lecture de Argerich 75

De l’étrange

Ne fuyez pas ! Dans un premier temps, ce que fait le soprano singulier de Barbara Hannigan dans les Trois Mélodies « nues » de 1886 pourra vous effrayer. Avec raison, et vous agacer également le ton volontairement niais qu’elle met à celles des Trois autres Mélodies. Une fois passé l’Hymne pour le Sar Peladan, et si vous avez survécu, oserez-vous entrer dans ce pourquoi existe ce disque : Socrate.

Les voix féminines y sont rares, jadis Suzanne Danco l’avait tenté dans la version orchestre, à la demande de Darius Milhaud, puis revenant à la version avec piano, Hugues Cuénod avait littéralement confisqué l’œuvre.

Eh bien, dans la récitation modale de Socrate, Hannigan est magnifique d’attention, de poésie, d’allusion, et soudain le piano de Reinbeert de Leuw, si rompu à la langue de Satie, ne l’accompagne plus, mais se marie à ce timbre si clair.

Tout l’album dégage un parfum d’étrange, quelque chose de déconcertant qui est assez dans « l’esprit Satie » pour qu’on en accepte le propos radical.

LE DISQUE DU JOUR

cover satie hannigan w&wErik Satie (1866-1925)
3 Mélodies (1886)
3 autres Mélodies (1886-1906)
Hymne, pour le « Salut Drapeau » du « Prince de Byzance » du Sâr Péladan
Socrate, drame symphonique en 3 parties pour voix et orchestre ou piano

Barbara Hannigan, soprano
Reinbert de Leeuw, piano

Un album du label Winter & Winter 910 234-2
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Photo à la une : © Raphael Brand