Tous les articles par Jean-Charles Hoffelé

Pour Sarasate

Pourquoi le Deuxième Concerto de Max Bruch, qui élève dans ses premières mesures une des plus belles suppliques jamais écrites pour le violon, est-il resté dans l’ombre du démonstratif Premier Concerto ? Mystère auquel je n’ai jamais su répondre.

Bruch l’écrivit pour Sarasate qui le créa le 2 février 1877 à Francfort. Son ton effusif, le caractère assez libre de sa structure, correspondent à la nature du violoniste espagnol.

Jack Liebeck, lancé dans une intégrale des opus concertants de Bruch, y est magnifique de subtilité, de sens des apartés, il fait paraître avec son archet inventif un vrai personnage, un héros romantique, fidèle à l’art évocateur qui fait tout le prix de la musique de Bruch, et Martyn Brabbins avec ses Écossais lui composent des paysages admirables, car Bruch écrivait son orchestre avec un art de peintre, sfumato compris. La plus belle version depuis le modèle de style laissé par Salvatore Accardo et Kurt Masur, rien moins, et dont l’espressivo me semble aller plus loin.

Deux des trois opus qui complètent ce concerto-poème ne sont pas d’une eau si pure, mais le métier de Bruch y est si parfait que l’ajout d’un soliste aussi inspiré leur donne une toute autre stature. Ténébreux le Konzerstück prend ici un ton d’opéra, murmuré, In Memoriam déploie son élégie sur un archet incroyablement ductile. Quant au ténébreux Adagio appassionato écrit pour Joachim, c’est un chef-d’œuvre. Le compositeur le savait bien, qui écrivait à son éditeur Simrock « C’est l’une de mes meilleures œuvres ». Poème élégiaque qui dit ses vers d’une seule ligne, il est l’alpha des nombreuses pièces libres pour violon et orchestre qui élargiront le répertoire de l’instrument à compter des années 1890. Jack Liebeck le magnifie, écoutez un peu ce violon qui déclame.

LE DISQUE DU JOUR

cover-liebeck-bruch-brabbins-hyperionMax Bruch (1838-1920)
Concerto pour violon
et orchestre No. 2
en ré mineur, Op. 44

Pièce de concert
en fa dièse mineur, Op. 84

In Memoriam
en ut dièse mineur, Op. 65

Adagio appassionato
en fa mineur, Op. 57

Jack Liebeck, violon
BBC Scottish Symphony Orchestra
Martyn Brabbins, direction

Un album du label Hyperion CDA68055
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Photo à la une : © DR

Esprit de Vienne

Mozart, parti si tôt, laissa la Vienne musicale orpheline. Pourtant les salons de musique de la capitale de l’Empire continuèrent de faire résonner ce pianoforte qui enchantait le compositeur de la Zauberflöte.

Dans cette Vienne d’après Mozart, les compositeurs venus de Bohème, Dussek et Krommer par exemple, se passionnèrent pour les instruments d’Anton Walter, mais d’entre eux, le plus fécond fut Leopold Kozeluch : cinquante-cinq sonates dont on crut certaines de la main de Mozart ou de celle de Haydn, vingt-trois concertos dont Howard Shelley offre ici trois opus des années 1784-1786.

Partitions modestes, concertos de pure grâce, mais aussi de pure convention, écrits alors que Mozart délivrait sa série de chefs-d’œuvre qui allaient tellement plus loin, ouvraient sur de tout autres paysages. Ce panorama trop court, malgré l’excellence du jeu de Shelley (et sa relative neutralité hélas), ne sera donc qu’une invitation qui donnera toutes les clefs du style académique d’alors.

Si le pianiste avait étendu sa proposition aux concertos plus tardifs, le vrai visage de Kozeluch, plus pathétique, plus romantique, aurait apparu. Demain peut-être.

LE DISQUE DU JOUR

cover-kozeluch-piano-concertos-shelleyLeopold Kozeluch (1747-1818)
Concerto pour piano et orchestre No. 1 en fa majeur
Concerto pour piano et orchestre No. 5 en mi bémol majeur
Concerto pour piano et orchestre No. 6 en ut majeur

Howard Shelley, piano, direction
London Mozart Players

Un album du label Hypérion CDA68154
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Photo à la une : © DR