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Con fuoco

La plainte mélismatique du Polo résonne, ardente, feulée, on voit les gitans assemblés, on entend les rasgueado des tocadors, le taconeo de la danseuse. Qui chante ainsi l’ultime des Sept chansons populaires espagnoles de Manuel de Falla ? Nadège Rochat, déployant le plus vocal des violoncelles qui en remontre à la plus farouche des mezzo-sopranos. Transcription ? D’elle–même et de son guitariste. Il y a du duende dans cet archet, un élan, une plainte aussi que vient aviver la guitare virtuose et amère du grand Rafael Aguirre, partenaire du second album de cette violoncelliste prodige qui fit sensation à ses débuts au Konzerthaus de Berlin en 2010. La femme est aussi belle que l’artiste, ce qui ne s’entend pas au disque, car la préoccupation première de son art n’est certainement pas esthétique. Continuer la lecture de Con fuoco

Les progressistes

Schoenberg vouait un culte aux œuvres de Brahms : derrière la maîtrise formelle et le langage déjà postromantique, il saisissait la musique d’un autre temps, le sien justement. Ce n’est donc pas à partir de rien que Vincent Larderet marie sur le même album la symphonie de piano de la 3e Sonate, les Intermezzi Op. 117 et la Sonate de Berg. On pourrait rêver d’un second disque mariant les Opus 118 et 119 de Brahms avec les Klavierstücke Op. 11, 19 et 23 de Schoenberg où le propos serait en quelque sorte parfait.

Mais plutôt que la confrontation formelle, il a choisi d’exposer la persistance lyrique entre l’univers de Brahms et celui de Berg. Lyrique, sa Troisième Sonate l’est assurément, sans perdre pour autant les carrures marquées, le jeu orchestral, la volonté d’espace qui charpentent un Allegro vraiment maestoso.

Cette ampleur, ce ton affirmé font le souple nocturne de l’Andante espressivo d’autant plus étonnant : il avance, très libre de conduction, lumineux dans cette nuit de demi-lune, dit plutôt que chanté. C’est faire entendre le sous-texte que Brahms y glisse, une vraie supplique amoureuse. Scherzo en armure, impérieux, d’où se libère un Rückblick plus affirmatif qu’interrogatif, beethovénien, au contraire du Finale dont Larderet ne cache rien des complexités, assumant son agogique fantasque, ce fameux Allegro moderato ma rubato sur lequel tant de pianistes passent allégrement, occupés de tenir la ligne, incapables de voir les paysages.

Décidément la Troisième Sonate a de la chance au disque en ce moment, après celle si envoûtante de Gabriele Carcano, Vincent Larderet en modèle une toute autre vision. L’art du pianiste français se libère plus encore dans les trois Intermezzi de l’Op. 117, disant les contrechants, animant l’espace plutôt que le lissant dans le sfumato, usant de la sonorité naturelle de son très beau Steinway.

La Sonate de Berg peut paraître, son premier motif désarmant caressant la nostalgie. Une tristesse s’installe, qui ne se résoudra pas, quelque chose de vainement tendu me rappelle la manière si singulière qu’y mettait Maria Yudina. Ce n’est pas rien.

LE DISQUE DU JOUR

Cvr Brahms Larderet BergJohannes Brahms (1833-1897)
Sonate pour piano No. 3
en fa mineur, Op. 5

3 Intermezzi, Op. 117
Alban Berg (1885-1935)
Sonate pour piano, Op. 1

Vincent Larderet, piano

Un album du label Ars Produktion ARS 38 217
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Photo à la une : © Martin Teschner

Le chainon manquant

Longtemps, le piano de Liapounov se limita pour les discophilies à un album : celui que Louis Kentner consacra aux Études d’exécution transcendante, pages brillantissimes et inspirées qui pourtant n’encouragèrent pas les pianistes, sinon Anthony Goldstone dans le cadre de son anthologie du Continuer la lecture de Le chainon manquant