Mystères et bacchanale

Les voyages au long cours que le jeune ménage Roussel fit en Extrême-Orient inspirèrent à Albert ces Évocations où des années avant Padmâvatî, il célébrait les mystères de l’Inde. Écrites au tournant des années 1910, leur langage étonne par leur modernisme qui doit beaucoup à la révolution debussyste. Quel triptyque !, qui culmine dans la floraison entre rose et pourpre du volet central où tous les parfums de Jaipur s’exhalent dans un orchestre de haute fantaisie au ton assez mille et une nuits.

Le disque n’a guère été prolixe avec l’opus manifeste du jeune Albert Roussel : Michel Plasson y distillera des luxes sonores enivrants, mais les caractères si tranchés des trois pièces seront portés avec une toute autre éloquence par Zdeněk Košler et ses musiciens tchèques, sans compter ses splendides solistes vocaux pour l’évocation finale du Gange à Bénarès.

Yan Pascal Tortelier fait quasiment aussi bien pour le caractère, le raffinement de l’orchestre, mais ses solistes n’ont pas la tension quasi rituelle de ceux de Košler. L’avantage lui revient pourtant grâce à une prise de son qui révèle le foisonnement de l’orchestre de Roussel : on en entend enfin toutes les strates.

Pourtant, le disque est plus abouti encore avec les deux brefs opus qui l’ouvrent : ce chef-d’œuvre bariolé qu’est la Suite en fa vibre d’un ardent soleil tout éclaboussé de lumière, le langage de la maturité de son auteur s’y résume, suractif, abrasif, piquant autant que celui du plus grand Stravinski, il stupéfia son dédicataire Serge Koussevitzky.

Comment ne pas entendre les mouvements vifs de la Troisième Symphonie résumée dans le Prélude ? Le concert fauviste de la Gigue, pleine de satyres et de faunes a-t-il jamais résonné aussi dansé, avec dans le débraillé de son clairon et de son harmonie une allégresse absolument Ensor, un ton de kermesse flamande ? Yan Pascal Tortelier en souligne les nombreuses analogies avec d’autres œuvres de Roussel, preuve qu’il connaît tout de cet univers qu’il doit continuer d’enregistrer.

Et cette merveille qu’est Pour une fête de printemps qu’hier Jean Martinon peignait avec tant de fantaisie et d’attention ? C’est encore une fois merveille, pour la finesse de l’évocation, les timbres imaginatifs, la précision des rythmes. Ah, que demain les mêmes nous donnent les pins maritimes du Poème de la forêt et le petit orchestre d’épices du trop rarement enregistré Concert !

LE DISQUE DU JOUR

Albert Roussel (1869-1937)
Suite en fa, Op. 33
Pour une fête de printemps, Op. 22
Évocations, Op. 15

Kathryn Rudge, mezzo-soprano
Alessandro Fisher, ténor
François Le Roux, baryton
CBSO Chorus
BBC Philharmonic
Yan Pascal Tortelier, direction

Un album du label Chandos CHAN 10957
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Photo à la une : A Jaipur, en Inde – Photo : © DR