Trop oublié

Michael Korstick a bien raison de persévérer chez Dmitri Kabalevski (1904-1987) : son intégrale des Concertos pour piano du compositeur de Colas Breugnon avait justement fait sensation, remettant au-devant de l’actualité discographique un corpus qu’Emil Gilels, Nikolai Petrov ou Youri Popv avaient championné.

Son clavier ardent, son jeu athlétique, sa capacité à éclairer les structures polyphoniques et à faire resplendir la forme se retrouvent idéalement employés dans les trois Sonates que Kabalevski composa entre 1927 et 1946. La Première est encore une œuvre de jeunesse mais le compositeur y affirme déjà son style, les deux autres opus dont Vladimir Horowitz assura la création américaine à New York, furent écrits à une année d’écart, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la Deuxième étant destinée et dédiée à Emil Gilels.

Comment ne pas admirer la langue si concentrée de Kabalevski (photo ci-contre), son piano ardent qui rend hommage à Prokofiev mais évolue dans un tout autre univers au point qu’il est impossible d’ailleurs de voir dans les Opus 45 et 46 d’hypothétiques réponses aux sonates de guerre du compositeur de Roméo et Juliette.

Le triptyque avait été enregistré par Artur Pizarro en 1994, lecture brillante, mais Michael Korstick va bien au-delà de cette surface, saisissant l’intensité tragique qui parcourt ces œuvres datant des années du stalinisme triomphant. Derrière les structures parfaites, le discourt stylisé, il saisit la rage qui emporte ces partitions au point que les deux ultimes Sonates forment un ensemble parfait, sorte de point de non-retour dans l’œuvre de ce compositeur exemplaire qui fut l’un des rares à soutenir devant Staline Chostakovitch après que celui-ci avait été étrillé par le petit Père des peuples, outré en vrai Tartuffe par les audaces de Lady Macbeth de Mzensk .

Comme Artur Pizarro, Michael Korstick ajoute le Récitatif et Rondo, mais aussi le Rondo Op. 59. Ce serait bien d’avoir sous ses doigts les Préludes, maintenant qu’on tient enfin sa vision des Sonates, où il égale dans les Deuxième et Troisième Moiseiwitsch, Gilels et Horowitz et où il surclasse Van Cliburn dans le Rondo.

LE DISQUE DU JOUR

Dmitri Kabalevski (1904-1987)
Sonate pour piano No. 1 en fa majeur, Op. 6
Sonate pour piano No. 2 en mi bémol majeur, Op. 45
Sonate pour piano No. 3 en fa majeur, Op. 46
Rondo en la mineur, Op. 59
Recitative et Rondo, Op. 84

Michael Korstick, piano

Un album du label CPO 555163-2
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Photo à la une : Tableau de Nicholas Roerich, Koksar Camp à Lahaul – Photo : © DR