Paris, Salle Pleyel, le 13 octobre 1948, Arthur Rubinstein donne un de ses classiques programmes de concert sans Chopin : Bach, Beethoven, Schumann, cœur du répertoire, trilogie absolument germanique qu’affectionnait aussi Wilhelm Kempff.

Heureusement, les micros de la Radiodiffusion française ont capté ce soir-là son jeu éclatant et profond qui emporte la Chaconne de Bach dans l’arrangement de Busoni avec des sonorités d’orgue. Quel art de faire résonner, de sculpter le phrasé dans la profondeur du clavier, et de construire l’air de rien la grande arche polyphonique redoublée par Busoni !

Rubinstein ne fut pas avare de disques, mais comment douter malgré l’extraordinaire qualité de son jeu au studio qu’en concert il se surpassait, laissant apparaître un virtuose considérable et plus encore un musicien pour les musiciens.

Il aurait dû jouer et enregistrer toutes les Sonates de Beethoven, il ne l’a jamais voulu, mais à chaque fois qu’il en joue une, quelle révélation !, que ce soit d’ailleurs pour le disque – à la fin de sa vie, il gravera une 18e insensée – ou au concert. Quelques accords pour apprivoiser le clavier préludent au bouillonnement irrésistible qui va emporter toute « sa » Waldstein, folle, élancée comme un arc-en-ciel, divinement jouée avec un art de coloriste, une poésie visionnaire, tout cela dans un piano véloce qu’on dirait prêt de s’envoler. Magique, tout comme le Carnaval de Schumann, joué sans esclandre, avec des tendresses, des effusions, un humour qui le font brillant comme s’il venait d’être écrit.

Les Saudades do Brasil de Milhaud sont un peu survolées, fêtes de sonorités exotiques dont les disharmonies durent enchanter Milhaud qui était présent dans la salle, mais ce Bach, ce Beethoven, ce Schumann sont pour l’éternité. Vite, d’autres concerts du Rubinstein de cette époque, bénie !

LE DISQUE DU JOUR

Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Partita pour violon No. 2 en ré mineur, BWV 1004 : V. Chaconne (arr. Busoni, BV B 24)
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour piano No. 21
en ut majeur, Op. 53, « Waldstein »
Robert Schumann (1810-1856)
Carnaval, Op. 9
Darius Milhaud (1892-1974)
Saudades do Brasil, Op. 67

Artur Rubinstein, piano

Un album du label Meloclassic MC1039
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Photo à la une : Aaron Copland, avec Carlos Chávez, Artur Rubinstein, Igor Stravinski et Claire Booth Luce, en 1950 – Photo : © Library of Congress, Washington