Sombre clarté

Bayreuth, 1963, Karl Böhm ouvre le festival avec une de ses plus étonnantes 9e Symphonie de Beethoven, reprenant le flambeau tenu par Furtwängler qui inaugura le Neues Bayreuth avec la seule œuvre d’un compositeur autre que Wagner accepté sur la Colline sacrée.

Sombre, très sombre à l’Allegro ma non troppo, sa direction tend peu à peu cette arche qui va des ténèbres à la lumière, et fait entendre avec une précision fanatique l’exacte valeur temporelle de chaque note, réalisant dans le Molto vivace un vitrail harmonique saisissant qui ne se fait jamais entendre sous d’autres baguettes moins précises, trop prestes à confondre rythme et agitation.

Sommet du concert, un Adagio molto e cantabile aussi prié, aussi intense, aussi mystérieux que celui de Furtwängler. Quatuor somptueux au Finale, enlevé d’un geste preste et rayonnant, qui rappelle les exultations de La Création de Haydn (sous la direction de Böhm, elle nous manque cruellement – hélas).

L’année précédente, il avait enflammé Bayreuth en présentant un Tristan und Isolde lumineux et minéral qui fit date. En 1966, Deutsche Grammophon le fixait enfin, captant la confrontation historique entre Birgit Nilsson, Isolde sombre, sorcière véhémente et amoureuse mante religieuse, et Wolfgang Windgassen, se brûlant à Tristan, fabuleux, renouant avec les légendes de Karel Burian ou de Max Lorenz. Le troisième Acte fut enregistré plus tard, si éprouvant pour Tristan, afin que Wolfgang Windgassen n’eut pas besoin de se ménager tout au long du II, où il est ici irradiant de présence dramatique.

Böhm reprenait le flambeau de Clemens Krauss, éclairant son orchestre, rappelant que Mozart était le Dieu de Wagner, il ressuscitait cette révolution entreprise en fait par deux chefs intimement liés à Richard Strauss (dont évidement Pierre Boulez s’inspirera), désormais si naturellement appariée aux nouvelles mises en scène de Wieland Wagner, et il faut se rappeler qu’il mena à bien cette entreprise radicale parallèlement pour Tristan und Isolde et pour le Ring.

Le plateau est somptueux, Martti Talvela le plus humain des Roi Marke jamais enregistrés (lui aussi y faisait une petite révolution), Christa Ludwig, Brangäne inquiète, le Kurwenal élégant et svelte (de voix, de physique) d’Eberhard Wächter, Erwin Wohlfahrt en Berger, Peter Schreier en Marin, sur tout cela cet orchestre où l’on voit la mer, où l’on entend la nuit, version géniale, jamais assez célébrée et que Deutsche Grammophon avait un peu oubliée, grisée par le Tristan und Isolde tout aussi génial, mais expérimental, de Carlos Kleiber.

Eh bien, le voici réédité et somptueusement, la qualité de la prise de son vous immerge dans le drame et plus encore tout au long du Blu-Ray dont l’image sonore est plus profonde encore, et qui vous ensorcelle par sa continuité fascinante.

En bonus, Karl Böhm répète la première scène de l’Acte III pendant une demi-heure, l’atelier s’ouvre, les mystères s’éclaircissent, pour mieux vous reverser dans les premières mesures de l’Acte I. Allez, encore une fois ce Tristan und Isolde, philtre drogue que vous ne voudrez plus quitter.

LE DISQUE DU JOUR

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Symphonie No. 9 en ré mineur, Op. 125

Gundula Janowitz, soprano
Grace Bumbry, mezzo-soprano
Jess Thomas, ténor
George London, basse
Chœur et Orchestre du Festival de Bayreuth
Karl Böhm, direction
Un album du label Orfeo C935171B
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Richard Wagner (1813-1883)
Tristan und Isolde, WWV 90

Birgit Nilsson, soprano (Isolde)
Wolfgang Windgassen, ténor (Tristan)
Christa Ludwig, mezzo-soprano (Brangäne)
Martti Talvela, basse (König Marke)
Eberhard Wächter, baryton (Kurwenal)
Claude Heater, baryton (Melot)
Erwin Wohlfahrt, ténor (Ein Hirt)
Gerd Nienstedt, basse (Ein Steuermann)
Peter Schreier, ténor (Ein junger Seemann)
Chœur et Orchestre du Festival de Bayreuth
Karl Böhm, direction
Un coffret de 3 CD et 1 Blu-Ray Audio du label Deutsche Grammophon 002894797291
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Photo à la une : © DR