Le Vaisseau béni

1967, Klemperer revient à Bayreuth où il n’avait plus paru depuis quarante ans, mais pas dans la fosse, dans la salle, spectateur d’honneur qui admire inconditionnellement le jeune Pierre Boulez dirigeant Parsifal. Il assistera également à Lohengrin et TannhäuserAnja Silja, rayonnante Elisabeth, le bluffe. Il doit diriger Der fliegende Höllander en version concert à Londres l’année suivante, et l’enregistrer en studio pour His Master’s Voice, il veut Silja pour Senta, elle sera rapidement convaincue.

L’enregistrement précédera le concert, Peter Andry exportant dans le studio d’Abbey Road les techniques du Decca Sonic Stage chères à John Culshaw, bruitages de tempête et spatialisation des chanteurs, orchestre enveloppant. La distribution est quasi la même que celle du concert, James King étant remplacé par un jeune ténor allemand qui aura incarné le plus bel Erik de toute la discographie, Ernst Kozub (ceux qui veulent pourtant y entendre James King, magnifique lui aussi, pourront se procurer l’enregistrement du concert publié par Testament d’après les bandes originales de la BBC).

Anja Silja revisite radicalement la vocalité de Senta, l’allégeant, la parant d’aigus dardés, lumineuse jusqu’au bout de chacun de ses mots, merveille qui n’a pas vieilli, et son Hollandais si noir et si humain, si terrifiant et si attachant lui est idéalement apparié : Theo Adam, le Wotan de Karl Böhm, fait flotter dans le studio d’Abbey Road l’atmosphère légendaire de Bayreuth.

En face de lui, Martti Talvela campe un Daland subtilement composé, la Marie d’Annelies Burmeister, le pilote de Gerhard Unger, tous sont transfigurés par la direction minérale, orageuse, tendue à rompre qu’Otto Klemperer impose, si moderne, si tranchante : je comprends bien qu’il fut si enthousiaste en découvrant le Parsifal de Pierre Boulez.

Cette gravure inaltérable nous revient dans un remastering somptueux, dévoilant la prise de son expérimentale tentée alors par Peter Andry, faisant regretter qu’His Master’s Voice n’ait pas poursuivi dans cette voix probablement jugée trop proche de ce que Decca avait inventé. Ici, en tous cas, on tient un enregistrement pour l’éternité.

LE DISQUE DU JOUR

Richard Wagner (1813-1883)
Der fliegende Holländer, WWV 63

Theo Adam, baryton-basse (Der Holländer)
Anja Silja, soprano (Senta)
Martti Talvela, basse (Daland)
Ernst Kozub, ténor (Erik)
Annelies Burmeister, contralto (Mary)
Gerhard Unger, ténor (Der Steuermann)

BBC Chorus
New Philharmonia Orchestra
Otto Klemperer, direction

Un album de 2 CD du label Warner Classics 9029581744
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Photo à la une : © DR