Bolet vivant

On est au début des années soixante, Jorge Bolet vient de prêter son jeu virtuose à Dirk Bogarde, interprète de Franz Liszt dans Song Without End (Le Bal des adieux), film maudit commencé par Charles Vidor, qui meurt pendant le tournage, et terminé par George Cuckor.

Il reprend sa carrière européenne en partant de Berlin, ville qu’il aura aimée plus qu’aucune autre. Liszt évidemment, et quel ! Six pièces de La Suisse, six Études d’exécution transcendante, mais jouées alors qu’il était au meilleur de son art, au plus haut degré de ses possibilités physiques, avec cette palette de couleurs inouïes, la beauté naturelle de sa sonorité captée au mieux par des ingénieurs dévoués. Quel bonheur que le premier disque de cet album qui regroupe tout ce qu’il joua pour le RIAS sur presque dix ans.

Des séances intimes où il était absolument libre – cela s’entend par la décontraction folle du jeu dans les quelques Godowsky qui ornent le second disque avec je crois bien une surprise : l’entendre jouer non pas le Baldwin qui l’accompagna toujours durant ses tournées après le coup d’éclat de son retour à Carnegie Hall (1974), mais dans le studio de la Radio un Steinway au clavier très léger qui dore ses timbres et envole ses doigts, merveille ! qui lui permet de faire sonner les Impromptus de Chopin avec une élégance d’un autre temps.

Hors les prises du Funkhaus, quelques œuvres ont été enregistrées sur le splendide Bechstein de la Siemensvilla : les Rêves d’amour de Liszt, subtils, gourmés de ton et de ligne, mais surtout huit Préludes de Debussy, déliés, coupant comme des éclats de verre, hésitant entre mystères (Danseuses de Delphes, La sérénade interrompue), et fulgurance (Feux d’artifice), avec un coup de génie pour Ondine, jouée très solaire, et filée en tempo preste. Je ne l’avais jamais entendue comme cela, c’est magique.

Témoignages précieux d’un art qu’on connut d’abord à son crépuscule, toujours magnifique pour la symphonie des timbres, mais qui ici rayonne à plein.

LE DISQUE DU JOUR

Jorge Bolet
RIAS Recordings, 1962-1973

Franz Liszt (1811-1886)
Années de pèlerinage I, Suisse, S. 160 (extraits : I. La Chapelle de Guillaume Tell, II. Au lac de Wallenstadt, III. Pastorale, IV. Au bord d’une source, V. Orage, VI. Vallée d’Obermann)
Études d’exécution transcendante, S. 139 (extraits : I. Preludio, II. Molto vivace, VIII. Wilde Jagd, IX. Ricordanza, XI. Harmonies du soir, XII. Chasse-neige)
Liebesträume. 3 Notturnos, S. 541
Rhapsodie espagnole (Folies d’espagne et Jota aragonesa), S. 254
Liebeslied, S. 22 (Arrangement pour piano du lied « Widmung » extrait des « Myrthen, Op. 25 » de R. Schumann)
Moritz Moszkowski (1854-1925)
En automne (No. 4, extrait des « Acht Charakterstücke, Op. 36 »)
Camille Saint-Saëns (1835-1921)
Le cygne (No. 13, extrait du « Carnaval des animaux, R. 125 », arr. L. Godowsky)
Leopold Godowsky (1870-1938)
Métamorphones symphoniques sur des thèmes de Johann Strauss (Partie 2 : Die Fledermaus)
Le salon (No. 21, extrait du « Triakontameron, Volume V »)
Frédéric Chopin (1810-1849)
Fantaisie en fa mineur, Op. 49
Impromptu No. 1 en la bémol majeur, Op. 29
Impromptu No. 2 en fa dièse majeur, Op. 36
Impromptu No. 3 en sol bémol majeur, Op. 51
Fantaisie-impromptu en ut dièse mineur, Op. 66
Valse en ré bémol majeur, Op. 64 No. 1 (Molto vivace)
Étude en sol bémol majeur, Op. 10 No. 5
Claude Debussy (1862-1918)
Préludes, Livre I, L. 117 (extraits : I. Danseuses de Delphes, IX. La sérénade interrompue, X. La Cathédrale engloutie, XII. Minstrels)
Préludes, Livre II, L. 123 (extraits : VI. Général Lavine – excentrique, VII. La terrasse des audiences du clair de lune, VIII. Ondine, XII. Feux d’artifice)

Jorge Bolet, piano

Un coffret de 3 CD du label Audite 21.438
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Photo à la une : © DR