Maryla Mazurka

Une poignée de microsillons, rares, traqués par les pianophiles, aura fait sa légende et je dois avouer n’avoir jamais espéré le retour de ses disques magiques en un album si soigné. Bravo Sony, merci surtout à Jed Ditsler qui avec ténacité aura convaincu l’éditeur américain de nous rendre enfin la brève intégrale des enregistrements commerciaux de Maryla Jonas. D’ailleurs, je ne crois pas qu’il en existe d’autres, mais qui sait ! un jour peut-être les archives parleront, révélant son Carnaval de Schumann, son Premier Concerto de Beethoven (avec son compatriote Rodzinski).

Elle échappa de justesse aux Nazis, faisant de Varsovie à Berlin un rocambolesque voyage jusqu’à l’Ambassade du Brésil qui l’exfiltra d’Allemagne pour qu’elle puisse rejoindre sa sœur, établie à Rio, et simplement éviter l’Holocauste.

Élève de Paderewski qui certainement lui légua son incroyable palette, absolument chez elle chez Chopin, pianiste stylée qui ne voyait littéralement pas la barre de mesure, phrasait tout jusqu’au bout, rythmicienne fabuleuse (écoutez comme elle « croque » l’Impromptu en la bémol), son art se transfigure dans les Mazurkas que personne ne joua aussi bien après elle, pour le style, l’expression, la danse et la poésie, et dont seul avant elle Ignaz Friedman avait su à ce point dire les secrets.

C’est non seulement magnifique de pure musique, mais émouvant au possible, sans une once de pathos, comme si Mozart jouait Chopin (pardon pour l’incongruité chronologique), léger, brillant mais poétique toujours, et appliquant à cette poésie cette touche de mélancolie qui lui donne une profondeur, des arrière-plans, tout une autre dimension qui n’attendait qu’elle pour s’échapper des portées.

L’héritage est mince, Chopin essentiellement, quelques cahier de danses de Schubert, des petites pièces entre époque baroque et Romantisme, mais dans la miniature enfermant des horizons insoupçonnés, et puis ces Kinderszenen de Schumann qu’elle anime comme personne, phrasant tout à sa manière, déconcertantes au bon sens du terme.

Autre merveille, les deux Pezzi infantili de Casella où les deux Menuets des Suites en sol mineur/majeur de Rameau qu’elle couple avec une habileté formidable, évoquant Marcelle Meyer elle-même. Dieu ! quelle artiste.

Établie aux États-Unis, jouant pour elle surtout, trop effrayée par le cérémonial du concert, mais y sacrifiant parfois, elle n’aura que quelques années d’embellie, vite rattrapée par une rare maladie qui empoisonnait son sang. Le 3 juillet 1959, elle s’éteignait. Nous restent ces quelques disques, gravés entre 1946 et 1951, témoignages sonores d’un art qui ne s’est plus retrouvé à ce degré de suggestion poétique

Coffret merveilleusement ouvragé, remastering fabuleux, photos rares, documentation précieuse enchâssant un texte remarquable signé par Jed Ditsler. Qu’il en soit remercié au centuple.

LE DISQUE DU JOUR

The Maryla Jonas Story
Her Complete Piano Recording Remastered

Œuvres de Wilhelm Friedmann Bach, Alfredo Casella, Frédéric Chopin, Jan Ladislav Dussek, Georg Friedrich Haendel, Franz Liszt, Felix Mendelssohn-Bartholdy, Wolfgang Amadeus Mozart, Jean-Philippe Rameau, Franz Schubert, Robert Schumann, Virgil Thomson

Marylas Jonas, piano

Un coffret de 4 CD du label Sony Classical 88985391782
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Photo à la une : © DR