Maturité

On n’en finit jamais avec les Préludes de Chopin, sésame ou viatique pour les jeunes pianistes qui y viennent si nombreux au disque ces derniers temps (Maxence Pilchen, Ingrid Fliter, Andrew Tyson, Emmanuel Despax et tant d’autres dans le piano du Polonais de Paris. Les pièces brèves que le cycle aligne sont autant d’invites à montrer la maîtrise mais surtout l’invention, la poésie mais surtout l’audace.

À la fin, nombreux sont ceux qui oublient que Chopin y construit un cycle parfait allant de la simple exposition à l’abîme, dans une course dont chacun devra régler le pas et mesurer la folie. On peut y survivre et s’y faire admirer par la simple grâce du jeu qui parle le vocabulaire de Chopin d’évidence (pour moi ce fut Andrew Tyson), ou simplement accepter de se confronter pied à pied à chaque station de cette Passion pianistique, tisser un récit, et réussir la quadrature du cercle, ou plutôt à tendre l’arche. C’est ce à quoi parvient avec un naturel déconcertant Cédric Tiberghien qui revient à Chopin après s’y être frotté tout jeune homme par un disque de Mazurkas (majoritairement) et de poursuivre par les Ballades.

Mais les années venues, son piano décanté (avec cet art qu’il n’est plus quasi que le sien de suggérer l’intensification de l’émotion par le jeu en retrait, ce qu’il faudrait nommer « piano espressivo »), les couleurs ouvertes, le sens du rythme comme une colonne vertébrale du discours, il possède toutes les clefs pour incarner le projet de Chopin et la poétique qui le sert, que ce soit dans le récitatif dramatique (clouant Prélude en fa mineur) ou dans l’élégie comme dans l’esquisse.

Avec cela, le texte est prêt comme rarement il le fut pour l’enregistrement (Perahia ?), chaque détail y sonne sans défaire le dessin général. Merveille de précision, de pudique sapience, d’élégance poétique, de sens de la suggestion. Un rien en retrait, la Deuxième Sonate sonne classique, le Deuxième Scherzo un peu séquencé (avec le choral central magnifiquement dit pourtant), mais ces Préludes risquent bien de faire modèle.

LE DISQUE DU JOUR

Frédéric Chopin (1810-1849)
24 Préludes, Op. 28
Sonate No. 2 en si bémol mineur, Op. 35
Scherzo n°2 en si bémol mineur/ré bémol majeur, Op. 31

Cédric Tiberghien, piano

Un album du label Hypérion CDA68194
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Photo à la une : © Jean-Baptiste Millot