Le chaînon manquant

« Spohr est un mollusque, mais un noble mollusque », raillait Schumann, portrait du compositeur autant que de sa musique. Un autre jugement ? Beethoven trouvait l’harmonie de ses symphonies trop encombrée de chromatismes.

Injustices ! Si Spohr resta jusqu’en ses ultimes opus un classique vivifié par le premier Romantisme, celui de Weber, il n’en demeure pas moins un des acteurs essentiels du renouveau musical de son temps, noircissant à foison du papier à musique, construisant trois vastes cycles – dix-huit concertos pour violon, dix symphonies, trente-quatre quatuors – sans renoncer aux lieder ou à l’opéra ! son Faust créé à Prague en 1815 fit sensation, ouvrant la voie à onze autres ouvrages lyriques.

Les Symphonies montrent son art à son plus divers, qui marie l’invention mélodique de Weber avec la conscience d’un temps musical long hérité de Schubert. Musique pure souvent, mais aussi comme le voulait l’usage du temps, parfois descriptive telle la 9e qui fait défiler les saisons, ou philosophique comme la 7e Symphonie qui cherche l’essence divine dans les nuées mais aussi sur la terre.

Si l’on accepte d’abandonner tout ce que l’on sait de l’évolution de la symphonie à l’ère romantique, le cycle de Spohr est en soi une merveille par son esthétique hors du temps historique, mais qui y participe au premier chef par sa syntaxe, son vocabulaire. On n’est parfois pas si loin des audaces maladroites de Schumann (sans les maladresses) et toujours dans un rapport assez fascinant avec Weber qui reste le grand modèle de Spohr.

Patiemment enregistrées de 2006 à 2012, l’intégrale emmenée avec art par Howard Griffiths est un document aussi inspiré qu’utile, qui illustre le cœur battant du romantisme allemand comme l’entendait le public et non comme le pensait les compositeurs démiurgiques qui allaient en incarner la finalité. Il faut une connaissance très fine des styles alors en vogue pour rendre justice à ces musiques subtiles dont le discours peut paraître fuyant, mais qui dans leur lyrisme entêtant distillent bien des beautés que l’Orchestre de la NDR expose sans rien alourdir, conscient de dévoiler ici un trésor oublié.

LE DISQUE DU JOUR

Louis Spohr (1784-1859)
Symphonie No. 1
en mi bémol majeur, Op. 20
Symphonie No. 2
en ré mineur, Op. 49
Symphonie No. 3
en ut mineur, Op. 78
Symphonie No. 4
en fa majeur, Op. 86
« La consécration du son »
Symphonie No. 5 en ut mineur, Op. 102
Symphonie No. 6 en sol majeur, Op. 116 « Historique »
Symphonie No. 7 en ut majeur, Op. 121 « Le terrestre et le divin dans la vie humaine »
Symphonie No. 8 en sol majeur, Op. 137
Symphonie No. 9 en si mineur, Op. 143 « Les Saisons »
Symphonie No. 10 en mi bémol majeur, Op. 156
Valses, Op. 89 « Errinerung am Marienbad »
Ouverture « Grand Concert » en fa majeur, WoO 1
Ouverture « Der Matrose », d’après Karl Birnbaum, WoO 7
Ouverture pour orchestre en ut mineur, Op. 12

NDR Radiophilharmonie
Howard Griffiths, direction

Un coffret de 5 SACD du label CPO 555105-2
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Photo à la une : Le chef d’orchestre Howard Griffiths – Photo : © DR