Falstaff de poche

En 1924, Gustav Holst eut la bonne idée de se risquer lui aussi à écrire son Falstaff. Il le prit tout entier dans la première partie d’Henry IV, lors de la scène à la taverne « At the Boar’s Head » (« À la tête de cochon ») : après que Falstaff ait raconté avoir été détroussé par une armada de voleurs, le Prince Hall, le fils d’Henry IV lui révèle qu’il fut son « voleur » avec la seule aide de Poins. Falstaff, pour ne pas perdre la face, lui rétorque qu’il l’avait reconnu et pris la fuite pour ne pas l’embarrasser, attendrissant ainsi le Prince.

Cet épisode savoureux culmine dans une scène où, après que Hall et Falstaff aient appris le début de la guerre civile et que le Prince ait été rappelé à Londres, le barbon propose au jeune homme de « préparer » son entrevue avec son père qui risque d’être houleuse. Chacun jouera successivement le rôle du père et du fils. L’idée de ce jeu de rôles échangé deux fois fascina Holst, qui écrivit un petit opéra d’une grande subtilité psychologique, en le tissant bien évidemment de folksongs.

C’est une merveille qui partagea l’affiche avec Gianni Schicchi lors de sa création new-yorkaise, mais un ouvrage trop élégant pour connaître jamais la moindre carrière. Le disque-même a été bien avare, qui l’a finalement illustré en 1981 par un enregistrement magnifique mais incomplet où brillait surtout le Prince Hall de Philip Langridge et la Doll Tearsheet de Felicity Palmer.

C’est l’œuvre au complet (cinquante-cinq minutes) que donne à entendre enfin la troupe éclatante emmenée par Łukasz Borowicz et son Warsaw Chamber Opera Sinfonietta, le Falstaff subtil, tendre autant que hâbleur de Jonathan Lemalu surclassant celui, bien plus univoque, campé par John Tomlinson dans l’enregistrement adverse et le Prince Hall d’Eric Barry ne cède en rien au souvenir laissé par Philip Langridge : leurs sonnets de Shakespeare respectifs sont aussi finement chantés l’un que l’autre. L’esprit de conversation est porté par un orchestre ductile, attentif autant aux chanteurs qu’au théâtre particulièrement subtil mis en musique d’une façon millimétrée par Holst.

La soirée s’ouvrait avec le chef-d’œuvre lyrique de Vaughan Williams, Riders to the Sea, pour sa première polonaise, Łukasz Borowicz en soignant les atmosphères, conduisant une distribution quasiment exclusivement anglophone jusqu’à l’incandescence, mais aussi formidable que soit sa tentative, elle ne parvient pas à surclasser l’enregistrement justement légendaire dirigé par Meredith Davies qui alignait Margaret Price, Norma Burrowes et Helen Watts !

Peu importe, pour At the Boar’s Head, cet album est de toute façon essentiel à toute discothèque anglophile et la lecture si juste de Riders to the Sea prendra sa place aux côtés de celles de Meredith Davies et Richard Hiickox, elles ne sont pas si nombreuses.

LE DISQUE DU JOUR

Gustav Holst (1874-1934)
At the Boar’s Head
Jonathan Lemalu, baryton-basse (Falstaff)
Eric Barry, ténor (Prince Hall)
Paweł Kołodziej, basse (Poins)
Krzysztof Szumański, baryton (Bardolf)
Kathleen Reveille, mezzo-soprano (Doll Tearsheet)
Adam Zdunikowski, ténor (Peto)
Gary Griffiths, baryton (L’Aubergiste)
Nicole Percifield, soprano (An Hostess)
Mateusz Stachura, baryton (Gadshill)

Ralph Vaughan Williams (1872-1958)
Riders to the Sea
Gary Griffiths, baryton (Bartley)
Nicole Percifield, soprano (Cathleen)
Kathleen Reveille, mezzo-soprano (Maurya)
Evanna Chiew, mezzo-soprano (Nora)
Anna Fijalkowska, mezzo-soprano (Une femme)
Chœur de femmes de la Philharmonie de Varsovie

Warsaw Chamber Opera Sinfonietta
Łukasz Borowicz, direction

Un album de 2 CD du label DUX 1307/08
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Photo à la une : © DR