Jouer moderne

En juin 1931, Anton Kamper, le jeune Konzertmeister de l’Orchestre Symphonique de Vienne décide avec son confrère Erich Weiss, premier alto dans la même phalange, de former un quatuor dont les membres seraient fixes, car si les musiciens des deux orchestres viennois donnaient souvent des concerts de musique de chambre (et plutôt d’ailleurs à géométrie variable), les ensembles constitués étaient devenus rares depuis les temps héroïques.

Franz Kwarda, le violoncelle solo et le second violoniste Karl Maria Titze les rejoignirent, formant un quatuor devenu mythique, le Wiener Konzerthaus Streichquartett, qui mit rapidement à son répertoire tous les quatuors classiques et romantiques. Haydn fut leur bataille, ils l’enregistrèrent d’abondance dès l’après-guerre alors même qu’ils avaient tous intégré le sein des Philharmoniker, pour la Radio autrichienne, mais aussi pour le label qui leur fit confiance, Westminster.

Sous cette étiquette prestigieuse qui avait établi ses micros dans la Vienne du rationnement alimentaire et des privations de toutes sortes, Anton Kamper et ses amis durent partager les répertoires avec un nouveau quatuor fondé durant la guerre par l’autre Konzertmeister des Philharmoniker, Walter Barylli. Beethoven et Mozart allaient en priorité au second, mais en entendant les deux quatuors (15 et 19) que Kamper et ses amis enregistrèrent, si alertes, si vifs, si impeccables de style et légers d’archets, comment ne pas regretter qu’ils n’en aient pas gravés plus. Haydn fut prioritairement confié aux Konzerthaus qui se chargea également de ce qui serait la première intégrale des Quatuors de Schubert, incluant les deux Quintettes – celui à deux violoncelles est donné dans une lecture enfiévrée dont le Quatuor Weller se souviendra.

Contrairement au Quatuor Barylli qui faisait perdurer un certain esprit romantique, Anton Kamper prônait un jeu moderniste, surveillant le vibrato, sélectionnant les sources des partitions, travaillant sur l’idéal d’une lecture transparente où tout s’entend. Pour les grands Quatuors de Schubert, c’est merveille, comme pour Les Harpes ou les Razoumovski de Beethoven, et lorsque la formation s’augmente de quelques invités comme pour les deux Sextuors de Brahms ou son Premier Quintette, ce sont toujours la clarté du geste, l’absence de pathos, la précision des rythmes qui étonnent.

Et quel bonheur d’entendre le jeune Paul Badura-Skoda dans une Truite de Schubert si alerte, où le clavier plus ombreux du non moins juvénile Jörg Demus pour le Quintette de Brahms. L’ensemble est formidable aussi par la qualité sonore de son remastering – Scribendum se serait-il approvisionné aux récents transferts coréens ? – mais d’abord parce qu’il nous restitue l’héritage officiel d’un quatuor révéré par tout ceux qui lui auront succédé, à Vienne ou ailleurs, espérant atteindre dans le cœur du répertoire de cette formation la même perfection.

LE DISQUE DU JOUR

The Art of
Vienna Konzerthaus Quartet

Franz Schubert (1797-1828)
Quatuors à cordes Nos. 1-15 (Intégrale)
Rondo pour violon et quatuor à cordes
Anton Kamper, violon solo –
Wilhelm Hübner, violon I (quatuor)

Trio à cordes No. 1 en si bémol majeur, D. 471
Trio à cordes No. 2 en si bémol majeur, D. 581
Quintette pour piano et cordes en la majeur, D. 667 « La Truite »
Paul Badura-Skoda, piano – Joseph Hermann, contrebasse
Quintette à cordes en ut majeur, D. 956
Günther Weis, violoncelle II

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Eine Kleine Nachtmusik, K. 525
Divertimento No. 17 en ré majeur, K. 334/320b
Joseph Herman, contrebasse – Hans Berger, Othmar Berger, cors
Quintette à cordes No. 6 en mi bémol majeur, K. 614
Ferdinand Stangler, alto II
Quatuor pour hautbois, violon, alto et violoncelle en fa majeur, K. 370
Hans Kamesch, hautbois
Quatuor pour flûte, violon, alto et violoncelle No. 1 en ré majeur, K. 285
Hans Reznicek, flûte
Ein Musikalischer Spaß, K. 522
Hans Berger, Josef Koller, cors
Quatuor à cordes No. 15 en ré mineur, K. 421/417b
Quatuor à cordes No. 19 en ut majeur, K. 465 « Dissonances »

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Quatuor à cordes No. 7 en fa majeur, Op. 59 No. 1 « Razumovsky I »
Quatuor à cordes No. 8 en mi mineur, Op. 59 No. 2 « Razumovsky II »
Quatuor à cordes No. 9 en ut majeur, Op. 59 No. 3 « Razumovsky III »
Quatuor à cordes No. 10 en mi bémol majeur, Op. 74 « Les Harpes »
Quatuor à cordes No. 12 en mi bémol majeur, Op. 127
Quatuor à cordes No. 15 en la mineur, Op. 132
Alexander Borodine (1833-1887)
Quatuor à cordes No. 1 en la majeur
Franz Joseph Haydn (1732-1809)
6 Quatuors à cordes, Op. 64, Hob. III:63-68
6 Quatuors à cordes, Op. 76, Hob. III:75-80

Antonín Leopold Dvořák (1841-1904)
Quintette à cordes No. 2 en sol majeur, Op. 77, B. 49
Josef Hermann, contrebasse
Johannes Brahms (1833-1897)
Sextuor à cordes No. 1 en si bémol majeur, Op. 18
Sextuor à cordes No. 2 en si bémol majeur, Op. 36
Ferdinand Stangler, Wilhelm Hübner, altos – Günther Weis, violoncelle II
Quintette pour piano et cordes en fa mineur, Op. 34
Günther Weis, violoncelle II – Jörg Demus, piano
Quintette à cordes No. 1 en fa majeur, Op. 88
Ferdinand Stangler, alto II

Wiener Konzerthaus Quartett

Un coffret de 22 CD du label Scribendum Recordings SC804
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Photo à la une : © DR