Le piano de la Pologne

Après avoir réédité les enregistrements européens de Paderewski, voici qu’APR publie in extenso les gravures américaines consenties à Victor entre 1914 et 1931, ensemble fascinant qui permet de saisir une autre face de l’artiste.

Si, à Londres, Paderewski surveillait son style, épuisé par Fred W. Gaisberg même jusque dans les ultimes séances de 1938 où son art ne se lisait plus guère au travers des lacunes de sa technique, de l’autre coté de l’Atlantique, il sembla toujours plus libre. Le public célébrait plus le pianiste que le diplomate, à New York, il trouvait de magnifiques pianos, mieux réglés qu’à Londres, et une atmosphère de convivialité qui lui permettait de jouer absolument comme il l’entendait.

Le jeu de Paderewski était le plus naturel du monde, il n’obéissait qu’à son tactus intérieur qui produisait des tempos inhabituels, un usage très singulier du rubato, des accommodements harmoniques – après tout, il était aussi compositeur – et toute une manière de toucher le piano dans la profondeur du clavier qui n’était déjà plus du tout de son temps dans l’entre-deux-guerres.

On peut se gausser de cet art qui semble venu d’ailleurs, mais comment ne pas le trouver émouvant, et singulièrement accordé à la musique de Chopin, surtout dans ses œuvres les plus polonaises, comment ne pas céder devant les talons et les bras ronds des Danses hongroises de Brahms et à cet orchestre que prolonge la pédale pour l’évanouir finalement ; il y a du sorcier chez Paderewski, mais d’un sorcier débonnaire, qui cherche le bref, ne veut que des petites pièces. Au diable les sonates, ce piano s’amuse et s’exalte (le Chœur des fileuses !) mais surtout émeut dans la nature même de sa sonorité, ce bronze animé, quelle merveille que captent dans toutes ses splendeurs les gravures de l’ère électrique.

Et puis, il y a cette concordance que je ne peux qualifier que de miraculeuse lorsque son clavier plein d’imagination s’invite chez Debussy : Voiles, Danseuses de Delphes, Ce qu’a vu le vent d’Ouest, Minstrels des séances de 1927 me font regretter qu’il n’ait pas enregistre tout le Premier Livre de Préludes ; une année plus tôt, la pure magie de Reflets dans l’eau pourrait résumer son art.

Peu importe que le style ne soit pas pur, que les doigts parfois cèdent (mais toujours avec panache), entendre Paderewski, c’est comprendre pourquoi le piano moderne a été inventé.

LE DISQUE DU JOUR

Ignaz Franz Paderewski
The American Recordings: The Complete Victor
Recordings, 1914-1931

Œuvres de Ludwig van Beethoven, Johannes Brahms, Frédéric Chopin, François Couperin, Claude Debussy, Franz Liszt, Felix Mendelssohn-Bartholdy, Ignacy Jan Paderewski, Sergei Rachmaninov, Anton Rubinstein, Ernest Schelling, Franz Schubert, Robert Schumann, Zygmunt Stojowski, Carl Tausig

Ignacy Jan Paderewski, piano

Un coffret de 5 CD du label APR 7505
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Photo à la une : © DR