Une idée de l’absolu

Les Sonates pour clavier de Mozart sont les plus périlleuses du répertoire, non pour les doigts, mais par leur musique. Sviatoslav Richter les redoutait, mais il avouait sans rougir qu’il comprenait mieux le « gentil Haydn » que ce diable de Mozart. Les pianistes s’y montrent prudents
, intimidés par l’image du génie, se réfugiant derrière la forme, jouant classique, tout en doigts, ou au contraire totalement iconoclastes (Gould, et parfois même Gulda).

Claudio Arrau, au sommet de son art, en aura radicalement changé le visage, y insufflant des tempos amples, des phrasés sculptés, froissant les beaux esprits : son intégrale des Sonates fut discréditée par la critique, je pleure de ne pas avoir de lui et par lui les Concertos.

C’est absolument au même degré d’intensité expressive, de hauteur de vue, que se situe William Youn dans son intégrale des Sonates. La beauté du toucher, sa plasticité, ses registres expressifs, le sens des couleurs dans l’émotion sont stupéfiant depuis le premier volume, mais à mesure que le cycle se sera complété, l’intelligence de la conception, l’éloquence du jeu, l’intensité de la vision augmentent, forçant à une réécoute de l’ensemble.

Cette cohérence dans la diversité ne s’était plus retrouvée depuis l’intégrale de Lili Kraus du temps des Discophiles français ou de celle de Claudio Arrau, les deux pôles les plus opposés, les deux conceptions les plus antithétiques.

William Youn y est aussi libre que ces deux géants, son toucher miraculeux désarme pas sa tendresse – écoutez la variation douce du Finale de la Sonate K. 284 –, foudroie par sa sombre densité (la Fantaisie), stupéfie par la variété des accents sur une seule phrase (la première page de l’Allegro assai de la Sonate K. 457).

La clarté des polyphonies s’ombre de nuances inouïes qui modèlent les contre–chants, mais au-delà de la perfection du jeu, de l’évidence de la conception, ce sont toutes les ambigüités de Mozart qui paraissent, et les secrets de son art.

Piano magnifique, magnifiquement capté par Peter Urban, ce qui démontre une fois de plus l’excellence artistique du label de Dieter Oehms pour ce qui relève de l’instrument en noir et blanc.

LE DISQUE DU JOUR

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Les Sonates pour clavier –
Vol. 5

Sonate No. 6 en ré majeur,
K. 284/205b

Sonate No. 7 en ut majeur,
K. 309/284b

Fantaisie en ut mineur, K. 475
Sonate No. 14 en ut mineur, K. 457

William Youn, piano

Un album du label Oehms Classics OC1857
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Photo à la une : © DR