Requiem

Le 31 mai dernier, Jiří Bělohlávek cédait à ce cancer qui ces derniers temps avait tant changé son visage, l’émaciant, lui donnant un air ascétique que jusque-là son abondante chevelure, ses yeux rieurs, son côté éternel jeune adolescent un peu mal fagoté avaient si habilement masqué.

Il aura passé sa vie entière immergée dans la musique, et la musique tchèque d’abord, sans vraiment se soucier de carrière. Je me souviens d’un dîner après un concert au Festival de Montreux organisé par l’ami Yves Petit de Voize où discutant avec Rudolf Firkušný – ils venaient de donner le Troisième Concerto de Beethoven – les deux compères s’accordaient pour regretter de ne pas avoir plutôt joué le Concerto de Dvořák.

Confronté à la maladie, Jiří Bělohlávek revint à Dvořák avec une sorte d’obstination, lui qui s’était beaucoup dévoué à la cause de Bohuslav Martinů. L’éden symphonique de Dvořák lui était un refuge, toutes les symphonies, les Danses slaves, puis enfin, in extremis, ce Stabat Mater qu’il aura été le seul à enregistrer par trois fois, toujours à Prague, avec l’Orchestre Symphonique puis avec sa chère Philharmonie Tchèque.

Le premier essai était dépareillé par un quatuor vocal inégal, le second trahi par les micros des ingénieurs de Chandos passant tout à la loupe, épuisant la grande plainte lyrique de Dvořák à force de réverbération, deux échecs que la team de Decca, installant ses micros au Rudolfinum, venge enfin, captant toutes les subtilités qu’il exige du chœur et de l’orchestre pour cette illustration des souffrances mariales. À un peu plus d’une année de sa propre mort, il sait certainement que cet enregistrement sera son testament, ce Stabat Mater tant aimé son requiem.

Est-ce pour cela que l’émotion me submerge dès les premières mesures de l’œuvre, venues de si loin ? Elle ne me quittera pas tout du long tant l’intensité spirituelle qu’y expose Jiří Bělohlávek dit tout du tourment de Dvořák, mais aussi, surtout, de son désir d’apaisement. La clarté des lignes qui font enfin entendre les déploiements de cette vaste polyphonie doloriste, la pureté si finement accordée d’un des plus parfaits quatuors qu’ait connu l’œuvre depuis la gravure parfaite qu’en réalisa Rafael Kubelik pour Deutsche Grammophon, derrière la douleur à vif, la tendresse inextinguible du pardon, cette Pieta qui vous enveloppe de son chant ne s’oublie plus.

Rangeant l’album après bien des écoutes, je le serre contre celui de Kubelik, j’ai mon deuxième Stabat Mater de Dvořák.

LE DISQUE DU JOUR

Antonín Dvořák (1841-1904)
Stabat Mater, Op. 58, B. 71

Eri Nakamura, soprano
Elisabeth Kulman, mezzo-soprano
Michael Spyres, ténor
Jangmin Park, basse
Chœur Philharmonique de Prague
Orchestre Philharmonique Tchèque
Jiří Bělohlávek, direction

Un album du label Decca 4831510
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Photo à la une : © DR