Classicisme ?

Printemps 1968, Emil Gilels s’engage dans l’enregistrement au Severance Hall de Cleveland, de l’intégrale des concertos pour piano de Beethoven. L’alliage de son clavier si naturellement beethovénien avec l’orchestre lumineux de George Szell aura produit une merveille de classicisme, une idée de la perfection. C’est du moins ce dont je m’étais persuadé en écoutant le coffret de microsillons HMV qui longtemps fut ma seule intégrale des Concertos de Beethoven. Puis j’avais cédé à celle de Leon Fleisher, une fois de plus George Szell dirigeait.

Classique … en mettant dans la platine le spectaculaire remastering proposé aujourd’hui par Warner qui semble revivifier la réédition de 1996 dont il se réclame pourtant, je dois bien revoir mon jugement. Si le cadre rayonne, Szell ordonant tempos et phrasés dans son geste solaire, le piano de Gilels est tout sauf classique ; tendu, âpre, rayonnant mais sombre, il déploie une échelle dynamique sciante, faisant de son clavier un autre orchestre, et qui chante avec fureur ou pudeur – le murmure de la prière de l’Andante du 4e laisse sans voix – tout entier concentré dans ce son minéral qu’il n’aura partagé en Beethoven qu’avec Rudolf Serkin.

Il faut avouer que le piano joué lors de ces sessions est une merveille, grand Steinway boisé aux teintes quasiment infinies, et réglé avec art. Finalement de loin mon intégrale favorite des Concertos d’entre celles que Gilels nous aura laissées – elles sont relativement nombreuses, souvent captées en concert – la plus réalisée, la plus aboutie, et probablement même mon intégrale de l’île déserte.

L’éditeur a complété l’ensemble avec le disque des Variations enregistrés en 1970, l’année même où Gilels parachevait son intégrale américaine avec les Premier et Troisième Concertos. Texte parfait, savant et éclairant, signé Frédéric Gaussin.

LE DISQUE DU JOUR

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Les Concertos pour piano
No. 1 en ut majeur, Op. 15
No. 2 en si bémol majeur, Op. 19
No. 3 en ut mineur, Op. 37
No. 4 en sol majeur, Op. 58
No. 5 en ut majeur, Op. 73, “L’Empereur”

Variations sur un thème original en ut mineur, WoO80
12 Variations sur la Danse russe extrait du ballet « Das Waldmädchen », WoO 71
6 Variations sur un thème orignal en ré majeur, Op. 76

Emil Gilels, piano
The Cleveland Orchestra
George Szell, direction

Un coffret de 3 CD du label Warner Classics 0190295895181

Photo à la une : © Deutsche Grammophon